Chères lectrices, chers lecteurs,
C’est avec joie que le comité de rédaction de Lectures anthropologiques présente son onzième numéro, qui coïncide avec l’accession de notre revue à la plateforme d’édition scientifique de référence OpenEdition. Fruit de plusieurs années d’efforts et de travail d’édition rigoureux, l’intégration à OpenEdition témoigne de notre engagement indéfectible pour la science ouverte, et marque une étape importante pour renforcer la place de Lectures anthropologiques dans le paysage de l’édition scientifique. Elle nous permettra d’atteindre un public plus large, y compris à l’international, en améliorant notre référencement et notre visibilité.
Après des questions d’actualité comme l’énergie (numéro 5), les épidémies (numéro 9) ou, plus récemment, les débats autour du postcolonial et du décolonial (numéro 10), Lectures anthropologiques poursuit avec ce nouveau dossier sa mission fondatrice, en proposant de faire le point sur un champ de l’anthropologie. Ce dossier est consacré à l’ethnomusicologie, ou plutôt aux ethnomusicologies, intentionnellement déclinées au pluriel, domaines examinés dans leurs dialogues épistémiques et historiques avec des disciplines voisines. Comme le rappelle l’introduction des coordonnatrices, Elina Djebbari et Séverine Gabry-Thienpont, analyser les ethnomusicologies contemporaines implique de naviguer à travers un panorama épistémologique et institutionnel complexe, stratifié et dynamique, étroitement lié aux préoccupations d’une anthropologie générale. Les articles appréhendent à la fois l’évolution de ce champ de recherche et celle des pratiques (musicales et dansées) qu’elle prend pour objet, en lien avec les multiples influences qui les modèlent, qu’elles soient d’ordre sociologique, économique ou technique, telles les circulations à l’échelle globale, le marché de l’industrie musicale ou les mutations des technologies d’enregistrement.
Les manières actuelles de lire les grandes figures de l’ethnomusicologie, d’écrire à leur propos, ou de valoriser leurs travaux dans des formats éditoriaux alternatifs sont discutées dans les textes de P. Anagnostou (sur un recueil d’articles de B. Lortat-Jacob), de M. de Ruyter (sur l’héritage de G. Rouget), ou encore de T. Bachir-Loopuyt (sur l’ombre de J. Blacking dans l’ethnomusicologie et l’ethnochoréologie britanniques). Les articles mettent en exergue les appels à un « aggiornamento » théorique (dans le texte de Colson par exemple, autour des musiques du Pacifique) et méthodologique (dépassement d’un modèle documentaire repéré par Bachir-Loopuyt), susceptible de décloisonner des approches essentialistes ou fondées uniquement sur l’analyse musicologique. Il s’agit également de faire état, à partir d’aires et d’objets divers, des modes d’insertion de musiques locales dans des courants globalisés comme la World music, ou au prisme de modèles théoriques comme celui de « l’Atlantique noir », selon l’expression de P. Gilroy (dans l’article de M. Amico). M. Rovsing Olsen s’appuie sur l’ouvrage de M. Amico à propos de la « musique touarègue » pour interroger les limites des paradigmes issus de la pensée de la globalisation en invitant à rendre compte des agentivités locales, tandis que d’autres auteurs et autrices explorent des héritages disciplinaires pluriels, mettant en perspective les ethnomusicologies nationales et des domaines transversaux comme les « Popular Music Studies » (Colson, Bachir-Loopuyt entre autres). L’évolution des technologies et médiations du son est aussi analysée au prisme d’un glissement du musical vers le sonore, dans des approches perceptives dont rendent compte notamment les textes de N. Puig (sur les sons de la rue au Caire) ou de S. Teixido (autour d’un ouvrage collectif sur les sons en contexte cultuel). Enfin, le dossier est traversé de questionnements épistémologiques portant sur la co-production des savoirs, susceptibles d’intéresser l’ensemble des sciences sociales. Le Feuillet d’actualité de A. Cuomo questionne ainsi la visibilité et l’autorité des voix d’artistes (hip-hop, en l’occurrence) auprès du monde académique. J. Oleksiak et L. Souillard (sur la plateforme Infrasons. Musiques régionales d’Auvergne-Rhône-Alpes, portée par l’ethnopôle CMTRA de la région Auvergne-Rhône-Alpes) ou M. de Ruyter (sur le projet Immersions, porté au sein de l’université Paris Nanterre) rendent compte de modalités alternatives et collaboratives de restitution, mais aussi de co-construction, de la recherche à travers l’usage d’outils numériques. Le Feuillet d’actualité de V. Elbaz et S. Gabry-Thienpont évoque, quant à lui, les enjeux et limites des rencontres internationales scientifiques, telles que celles du Mediterranean Music Study Group de l’ICTMD1. À l’heure du renforcement des frontières nationales, des sentiments identitaires extrémistes et des escalades guerrières dans l’aire méditerranéenne, ces autrices rappellent opportunément, en cohérence avec l’ensemble du dossier, la nécessité d’une pensée académique transfrontalière et plurielle.
Tout en dressant un panorama critique actualisé des ethnomusicologies, ce dossier a vocation, en prise avec la ligne éditoriale de Lectures anthropologiques, à toucher un lectorat large, intéressé par l’actualité de l’anthropologie et de ses disciplines sœurs. Les lectrices et lecteurs non familiers y trouveront non seulement une cartographie actualisée des objets, méthodes, contours et controverses qui l’animent, mais également des ponts, embranchements et dialogues avec des questions transversales.
À la suite du dossier thématique, deux articles publiés en varia interrogent, chacun à leur façon, l’actualité de la discipline. D’une part, l’article de R. Blanchier réfléchit à la façon dont la photographie s’articule à l’analyse anthropologique à partir du compte rendu d’un ouvrage qui nous emmène au cœur de la vie des Evenki de Sibérie. D’autre part, un collectif d’auteurs rend compte d’un colloque conjoint de la Société d’ethnologie française (SEF) et de l’Association française d’ethnologie et d’anthropologie (AFEA) intitulé « Les contours de l’ethnologie ». Cet évènement avait pour objectif d’interroger les différentes manières dont l’anthropologie est mobilisée hors du monde académique ainsi que les modalités d’exercice et les apports spécifiques de ces nouvelles pratiques dans des sphères particulières, qu’il s’agisse de l’apprentissage de la musique (écho indirect au dossier) ou du fonctionnement de l’entreprise.
Nous vous souhaitons une agréable lecture, en espérant qu’elle stimule à son tour de nouveaux écrits.