L’anthropologie de l’anthropologie… de Robert Borofsky

À propos de Robert Borofsky, An anthropology of anthropology. Is it time to shift paradigms ?, 2019

Etienne Bourel

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Etienne Bourel, « L’anthropologie de l’anthropologie… de Robert Borofsky », Lectures anthropologiques [En ligne], 8 | 2021, mis en ligne le 13 février 2024, consulté le 27 avril 2024. URL : https://www.lecturesanthropologiques.fr/836

Ce compte rendu analyse le livre de Robert Borofsky An anthropology of anthropology. Organisé à partir d’un diagnostic du champ anthropologique (états-unien principalement), celui-ci critique ses formes académiques actuelles (sédimentées au cours des dernières décennies) et son ancrage dans l’économie politique afin de promouvoir l’anthropologie publique. Cette pratique, tout en cherchant d’abord à bénéficier à autrui, valorise les méthodologies coopératives et présente de bonnes propriétés heuristiques. Le compte rendu discute les qualités ainsi qu’un certain nombre de limites de l’ouvrage dans l’idée de contribuer à la documentation sur les aspects variés de la pratique de l’anthropologie publique.

This review analyses Robert Borofsky’s book An anthropology of anthropology. Based on an anthropological field diagnosis (mainly in the United States), it criticizes its current academic shapes (sedimented over the last decades) and its political economy anchorage, in order to promote public anthropology. This practice, while seeking primarily to benefit others, values cooperative methodologies and presents good heuristic properties. The review discusses the book’s qualities as well as some of its limitations in an attempt to document various aspects of the public anthropology practice.

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Compte rendu de Borofsky Robert, 2019, An anthropology of anthropology. Is it time to shift paradigms? Kailua, Center for a Public Anthropology.

« Je suis, au contraire, pour un éloge du risque. Si on veut maintenir le mouvement, si on veut produire une connaissance collective, et d’abord orientée par les sciences humaines, de ce qui se passe, il faut remettre en mouvement l’esprit de risque, l’esprit de découverte. Il faut penser que ce qui est nouveau nait dans le désordre. »

Georges Balandier (2010 : 2 h 30’29’’)

Le livre de Robert Borofsky, An anthropology of anthropology. Is it time to shift paradigms ?, est un essai diagnostiquant la place et le devenir de l’anthropologie culturelle1 étatsunienne. Il analyse sa situation dans l’économie politique et le contexte académique actuels et ouvre ou affirme des perspectives pour son renouvellement, notamment au regard de sa contribution aux débats publics et aux luttes politiques. L’auteur y défend l’importance d’une « anthropologie publique », terme dont il revendique l’invention, via une saisie d’ensemble du champ anthropologique. Son argumentation tient autant de la rigueur analytique que de la volonté d’emporter la conviction du lectorat. Quinze ans après la célèbre conférence de Michael Burawoy « For Public Sociology »2, ce livre constitue donc une contribution, pour l’anthropologie, à la large réflexion sur les relations « science-société » (Nowotny et al. 2001)3.

Récemment retraité (le 15 août 2020) d’un poste de professeur d’anthropologie à l’université Hawaii Pacifique4, Robert Borofsky a mené des recherches dans l’aire océanienne et notamment en Polynésie. Il a coordonné l’édition d’ouvrages de synthèse sur la discipline (Borofsky 1994) et s’est intéressé à la question des controverses dans l’histoire de l’anthropologie, comme celle entre Gananath Obeyesekere et Marshall Sahlins à propos de la perception du capitaine James Cook par les Hawaïens (Borofsky 1997) ou celles à propos des Yanomamis5 (Borofsky 2005). Au début des années 2000, il fonde le Center for a Public Anthropology dont le but général est d’inviter les anthropologues à prendre davantage de place dans les débats et espaces publics. À côté de différents projets présentés et de ressources disponibles sur son site Internet6, le centre a notamment édité deux séries de livres. La première (« California Series in Public Anthropology »7) est éditée par les Presses de l’université de Californie. On y trouve plus de cinquante ouvrages publiés entre 2001 et 2021. La seconde (« Public Anthropology: An Open Access Series »8) est hébergée par le centre et propose, comme son nom l’indique, des livres en accès libre. Elle n’est composée pour le moment que de deux titres, dont An Anthropology of Anthropology. Enfin, en 2019, Borofsky contribue au lancement de la revue Public anthropologist9, aux côtés de son rédacteur en chef, Antonio De Lauri10.

Avant d’aborder son contenu propre, il ne semble pas superflu de décrire ce livre et son appareil à la structure peu commune. D’un volume total de 372 pages, l’ouvrage s’ouvre par 10 pages de « soutiens » (« endorsements ») signés par 35 anthropologues désignés comme venant d’Australie, du Canada, de la France, de la Norvège, du Royaume-Uni et des États-Unis (donc, uniquement des pays « du Nord »). On y retrouve des noms tels que Philippe Bourgois, Jean Comaroff, Veena Das, Paul Farmer, Didier Fassin, Jonathan Friedman, Maurice Godelier, David Graeber, George E. Marcus, Laura Nader, David Price, Nancy Scheper-Hughes. Après les dédicaces, une citation de Salman Rushdie et une de Jim Yong Kim (médecin et président de la Banque Mondiale de 2012 à 2019) sont placées en épigraphes. Suivent une table des matières, une préface et des remerciements. De la sorte, le premier des cinq chapitres débute à la vingt-cinquième page. Le dernier se referme à la deux-cent-trentième et commence alors une bibliographie de 99 pages (p. 231-330), un index de 15 pages et, finalement, une brève présentation de l’auteur avant la garde blanche. Nous pouvons noter également des efforts didactiques particuliers puisque, si chaque chapitre est conventionnellement ouvert (présentation des arguments) et refermé (synthèse), des résumés d’un paragraphe se trouvent au début de chaque sous-partie, rendant possible des lectures partielles ou rapides.

Comme indiqué dans la préface (p. XI), ce livre recourt aux méthodes d’investigation de l’anthropologie pour étudier sa pratique en tant que discipline académique et se focalise notamment sur ses « résultats » (publications et projets). Le sous-titre reflète son souci premier : que les anthropologues tiennent plus significativement compte des préoccupations des personnes rencontrées au cours de leurs recherches ; que leurs savoir-faire et positions sociales contribuent à donner voix à ces problèmes, en participant à leur qualification. À rebours d’une appréciation quantitative des aboutissements d’une discipline et des savoirs qu’elle produit, l’anthropologie publique est ainsi conçue comme visant à être utile à autrui (« benefitting others », p. XI). Par contrecoup, l’enjeu pour l’anthropologie en général est ainsi de ne pas se replier sur elle-même, de ne pas perdre en audience et d’accéder à davantage de financements11.

Primum non nocere12

Intitulé « Exploring Cultural Anthropology’s Academic Contexts », le premier chapitre (p. 1-40) propose un bilan de la structuration du champ de l’anthropologie culturelle étatsunienne en plaçant en vis-à-vis son paradigme dominant (« do not harm ») et celui de l’anthropologie publique (« benefitting others »). L’idée principale défendue par Robert Borofsky est que l’anthropologie, par ses méthodes de recherche (ethnographie, compréhension contextuelle et « comparaison contrôlée »13), recèle un véritable potentiel politique et moral pour améliorer la vie des gens : « at its best, cultural anthropology represents an antidote to hate, provincialism, and despair » (p. 1). Cependant, il semble que, à la différence de ce que l’on peut observer dans d’autres disciplines, ce potentiel soit rarement mis à profit et il convient de se demander pourquoi. La raison majeure tient aux indicateurs volumétriques utilisés pour apprécier la productivité académique et organisant la vie intellectuelle. En effet, si des personnalités telles que celles de Franz Boas, Margaret Mead ou Paul Farmer (parmi d’autres) ont joué des rôles importants dans les débats publics de leurs époques respectives, elles restent une minorité dans le champ. Plus généralement, la crédibilité dans la carrière professionnelle semble aller de pair avec une attitude désintéressée et « objective » par rapport aux personnes étudiées (p. 11), si tant est qu’on accorde à l’idée d’objectivité une conception politique conservatrice plus que strictement épistémologique. Au regard de l’organisation des lieux de savoir nord-américains, les départements d’anthropologie des différentes universités jouent un rôle surdéterminant dans la détermination de qui est légitime dans la discipline et des connaissances qui la constituent, se trouvant ainsi en position de garde-barrières. Ainsi, par circularité, l’anthropologie en vient à se définir par ce qui enseigné dans les cours des départements d’anthropologie, indépendamment des critères de pertinence et des zones d’ombre de cette délimitation : « basically, anthropology is what anthropology departments say it is » (p. 18). A contrario de l’idée (reçue) voulant que les départements universitaires permettent le passage d’une pratique amateure à une pratique professionnelle de l’anthropologie, Borofsky rappelle que de nombreuses figures importantes ont existé avant Boas et l’accès aux postes académiques qu’il a permis14. Le développement des départements universitaires a, en fait, abouti à la contradiction suivante : alors que l’anthropologie est une discipline historiquement engagée dans le progrès intellectuel et le changement social, son centre de gravité se trouve désormais dans des structures bureaucratiques qui ne les facilitent pas. De surcroit, ces départements entretiennent, pour se maintenir en l’état, le mythe d’un « âge d’or » où les quatre sous-champs de l’anthropologie (biologique, linguistique, préhistorique et ethnologique) auraient été véritablement intégrés, ce qu’une analyse des 3 252 articles publiés dans American anthropologist entre 1899 et 1998 vient contredire : seulement environ 9,5 % d’entre eux met véritablement en discussion ces sous-champs (p. 22-23). Ainsi, ce mythe entretient les habitudes et les inerties alors que le projet intellectuel de la discipline est dévoyé.

Robert Borofsky recourt alors à la notion de « paradigme » de Thomas Kuhn et à celle d’« hégémonie » d’Antonio Gramsci pour analyser l’idéologie de la discipline et développer son « anthropologie de l’anthropologie » (p. 24 et suiv.). Ici, nous pouvons noter que cette mobilisation de la notion de « paradigme » peut facilement être tenue pour excessive. En effet, ceci d’une part renverrait à une conception partagée de la science en anthropologie et, d’autre part, rend difficilement concevable les pratiques chevauchant les frontières entre mondes académiques et professionnels, comme celle de l’anthropologie appliquée. Il n’en demeure pas moins que le lien étroit entre la compétence intellectuelle et les publications produites revêt désormais un caractère quasi-hégémonique15 dans le monde académique. Cette situation, de façon retorse, maintient le statu quo et peut être désignée comme le paradigme du « do not harm ». Ce dernier est basé sur deux principes : (1) montrer le monde universitaire (notamment l’institution à laquelle appartient un auteur ou une autrice) sous un jour positif ; éviter d’adresser des critiques pour avancer dans la carrière ; (2) apprécier le travail académique (« academic accountability ») principalement en termes de publications (dans quelles revues, chez quelles maisons d’édition et sur quelle période). Si pendant longtemps des critères (flous) mêlant le qualitatif et le quantitatif existaient pour apprécier les publications des universitaires, ceci a récemment changé au seul profit de la quantité et indépendamment de la qualité des idées et des perspectives particulières. En contrepoint, le second paradigme proposé par Borofsky, qui correspond à celui de l’anthropologie publique, s’intéresse moins aux mesures quantitatives, au maintien du statu quo et davantage aux possibilités de bénéficier aux personnes au-delà du monde académique. Quatre principes permettent ainsi de résister au premier paradigme : chercher à être utile à autrui, valoriser des formes alternatives de responsabilisation des universitaires (l’impact social plus que les publications), travailler en transparence (contre le clientélisme académique mais aussi pour permettre de revisiter les résultats d’une recherche), mener des recherches coopératives avec les personnes hors-académie (pour faciliter les changements sociaux).

Le deuxième chapitre, « Who Are the Main Beneficiaries of Cultural Anthropology’s Many Publications? » (p. 41-122), revient plus en détails sur le paradigme du « do not harm » afin de mettre en valeur l’écart entre les hautes valeurs dont ses tenants et tenantes se revendiquent et ce qu’il permet bien plus concrètement : faire avancer les carrières individuelles et maintenir les structures existantes. Pour donner un ordre de grandeur, Robert Borofsky a recensé l’ensemble des articles publiés en 2016 dans les seize revues liées à l’American Anthropological Association (environ 50016) et le nombre de livres relevant de l’anthropologie culturelle parus la même année (entre 400 et 500). Partant de là, il s’interroge sur les « progrès » (valeur promue tant dans l’histoire intellectuelle de la discipline que par les institutions bailleuses de fonds, aux États-Unis et au Canada) que ces productions permettent. À cette fin, il recourt à des mesures et se base alors sur les deux tendances majeures que sont le courant explicatif et positiviste — basé sur l’accumulation de savoirs et qui a pu être défendu par Marvin Harris — et le courant interprétatif — basé sur la description et l’herméneutique, dont la figure de proue nord-américaine fut Clifford Geertz (Descola 2003 ; Hamel 2006 ; Michel 2021) —, partant de l’idée que la plupart des anthropologues se reconnaissent dans l’un de ces courants ou dans les deux. Après avoir discuté (p. 57-66) la particularité des critères permettant de valider les savoirs anthropologiques17, l’auteur propose de regarder la propension des publications soit à affiner une certaine tendance interprétative, soit à contribuer à un corps cumulatif et positif de savoirs. Il examine ainsi cinq courants cardinaux des années 1930 aux années 1990 : (1) l’école « culture et personnalité », (2) l’écologie culturelle, (3) l’interprétation des mythes, symboles et rituels, (4) le « retour à l’histoire » et (5) le postmodernisme. À l’exception du premier courant, sa méthode consiste à relever les citations d’ouvrages majeurs dans cinq revues importantes cinq, dix et quinze ans après leurs publications respectives et à regarder le nombre de fois où les idées de ces livres font (a) l’objet de développements18 pendant au moins trois phrases, (b) sont discutées pendant au moins trois phrases dans une revue de littérature ou (c) sont simplement citées « en passant ».

La lecture de six travaux de l’école « culture et personnalité »19 lui fait dire que, en cherchant à être innovant, ces auteurs et autrices ont vaguement repris les perspectives les ayant précédé.e.s mais ont surtout valorisé chacun.e les leurs dans des contextes différents (p. 71). Dès lors, voir cet ensemble de travaux comme inscrit dans un progrès reviendrait à tomber dans un sophisme comparatif (soit des comparaisons non-contrôlées). Pour le deuxième courant20, les contributions semblent toutes aller dans des directions différentes et quand les livres principaux sont cités (Elman Service, Primitive social organization, 1962 ; Roy Rappaport, Pigs for the ancestors, 1968 ; Marvin Harris, The rise of anthropological theory, 1968), leurs idées ne sont pratiquement jamais discutées en tant que telles21. Pour le troisième courant, Claude Lévi-Strauss, Victor Turner et Clifford Geertz ont développé leurs approches respectives. S’il leur est arrivé de se citer entre eux et qu’il se dégage une impression approximative de progrès dans la succession de leurs publications, ils n’ont pas pour autant « bâti » sur leurs apports respectifs et il demeure difficile de trancher quant à la bonne ou la meilleure modalité d’interprétation à laquelle se référer. De plus, et même s’il en va un peu différemment pour Lévi-Strauss, les autres anthropologues n’ont pas beaucoup construit leurs analyses sur la discussion de ces auteurs22 (si on se réfère à Claude Lévi-Strauss, The Raw and the Cooked, 1969 ; Victor Turner, The Ritual Process, 1969 ; Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, 1973)23. Le quatrième courant est représenté par Michel Foucault, Eric Wolf et Marshall Sahlins. Une fois encore, Borofsky doute de la complémentarité de leurs approches et des progrès intellectuels qu’ils auraient pu produire collectivement. Également, ils ont surtout été cités rapidement, dans des listes de références (si on se réfère à Michel Foucault, Discipline and Punish, 1979 ; Eric Wolf, Europe and people without history, 1982 ; Marshall Sahlins, Islands of history, 1985)24. Concernant ce courant, une discussion fait exception : la controverse entre Gananath Obeyesekere et Marshall Sahlins (Borofsky 1997). Enfin, pour le cinquième courant, sont principalement retenues les réflexions de James Clifford, George Marcus et Marylin Strathern. Ici, la critique de l’autorité ethnographique, l’accent mis sur la réflexivité et l’invitation aux expérimentations dans l’écriture ethnographique ont été assez cohérentes. Néanmoins, et comme pour les courants précédents, si les anthropologues semblent quelque peu complémentaires dans leurs discussions, ils et elles n’ont pas cherché à véritablement avancer les un.e.s par rapport aux autres, que ce soit sur les plans ethnographiques ou analytiques, chacun.e se préoccupant surtout de développer ses propres perspectives. Par ailleurs, peu d’anthropologues à leurs suites ont cherché à construire sur leurs propositions (si on se réfère à James Clifford et George Marcus, Writing Culture, 1986 ; George Marcus et Michael M. J. Fischer, Anthropology as Cultural Critique, 1986 ; Marylin Strathern, The Gender of the Gift, 1986)25.

Au bilan, il y a donc eu peu d’avancées intellectuelles (au sens où Borofsky les envisage) au cours de ces décennies, même si cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu du tout (p. 106). De grand.e.s auteur.trice.s ont pu poser des questions inspirantes et constituer des points de repères importants. Toujours est-il qu’il s’agit surtout de références qu’il convient de citer plus qu’autre chose… Ce constat rejoint largement les récentes réflexions de Louis Pinto (2020) en la matière. Ainsi, on en revient à l’idée que si l’argument de produire des avancées intellectuelles est régulièrement mis en avant pour accéder à et justifier des financements auprès du « public », peu de publications affinent véritablement les interprétations ou contribuent à l’accumulation de savoirs. Les productions servent surtout à l’avancement des carrières : il suffit de prétendre qu’on a fait avancer le savoir, plutôt que de démontrer une telle assertion. Pour le dire autrement : la position commune revient à prétendre à l’originalité sans remettre en cause le statu quo. Symétriquement, le nombre de citations dont bénéficie une publication n’est pas un critère pertinent pour estimer sa qualité : comme nous venons de le voir, la très large majorité des citations ne discutent pas les idées des auteurs et autrices. La pression à publier (notamment pour aboutir à des postes académiques stables) s’étant accentuée ces dernières années, nous assistons au triomphe du style et de la quantité sur la pertinence et la qualité (p. 114). Les statuts et reconnaissances étant très flottants et incertains dans le monde académique, les anthropologues sont d’autant plus amené.e.s à publier continuellement, quitte à être peu lu.e.s et à regarder comme impur ce qui sort du cadre universitaire. Enfin, la tendance à la spécialisation a conduit à une fragmentation, renforcée par le fait que chaque auteur.trice cherche plus à développer ses propres perspectives qu’à construire sur le savoir déjà existant. Énormément d’informations existent, circulent et aucun cadre ne les unifie (p. 119). Encore une fois, cette spécialisation nourrit le statu quo et permet les avancées de carrière. La méthode de la « comparaison contrôlée » est pourtant un moyen de remédier à ces problèmes. Il faut enfin noter qu’il y a des gagnant.e.s dans ce système : les personnes très mobiles, entrepreneur.se.s d’eux.elles-mêmes, mettant en avant leurs publications et donc répondant aux attentes de leurs institutions et des bailleurs de fonds. Toutefois, la logique de la sur-citation rend les textes inaccessibles autrement qu’aux spécialistes et affaiblit les possibilités d’appréciation publique des recherches tout en se donnant des apparences de scientificité : « you might think that anthropologists would offer something significant in return for others’ financial support. They clearly offer a rhetoric of support » (p. 121). Le paradigme du « do not harm » est bien basé sur les apparences et renforce surtout le prestige des universitaires et de leurs institutions respectives.

Beatus qui prodest quibus potest26

Le chapitre 3, « Shifting the Paradigm Toward Public Anthropology » (p. 123-172), développe le paradigme alternatif au « do not harm » envisagé par Borofsky, même s’il existe surtout pour le moment à l’état de possibilité et d’espoir et qu’il reste à préciser (p. 123). Il le nomme « public anthropology », terme qu’il a inventé à la fin des années 90 (p. 125), cette idée ayant été entendue de différentes manières depuis. Dans son extension la plus large, on peut considérer que l’équivalent d’une anthropologie publique a existé depuis la Renaissance et les premiers discours sur la variété des modes de vie au-delà de ceux des sociétés occidentales. C’est, en somme, le développement du monde universitaire au cours du siècle passé qui a mené au cloisonnement et au renfermement de la discipline. En effet, au tournant du vingtième siècle, il existait très peu d’anthropologues mais ils avaient une véritable présence dans les débats publics. Ceci s’explique par leurs nécessités de viser une plus large audience pour arriver à être publié.e.s. Après la Seconde Guerre Mondiale, le baby-boom a abouti à une augmentation du nombre de départements universitaires. De la sorte, les anthropologues ont pu publier en visant un lectorat d’étudiant.e.s. Reprenant les diagnostics d’Andrew Abbott, Borofsky montre ainsi comment, désormais, s’adresser à un « grand public » est une entreprise dévalorisée et tenue pour « para-professionnelle » (p. 128)27. Il revient ensuite sur la distinction à opérer entre anthropologies appliquée et publique et s’interroge sur les freins au plus grand déploiement de la seconde : rompre avec les tendances dominantes du monde universitaire est moins aisé qu’il n’y parait (p. 128-133). Pourtant l’idée centrale du paradigme de l’anthropologie publique (« benefitting others ») se retrouve explicitement dans les préoccupations de la National Science Foundation28. Ici, il convient de remettre en perspective cette volonté d’être utile à autrui, afin de rappeler les rapports de pouvoir qu’elle a pu et continue souvent de charrier (quand elle va du « Premier Monde » au « Tiers-Monde », par exemple) : ce sont souvent les personnes avec le plus de pouvoir qui étudient celles qui en ont moins. Ici encore, les anthropologues tenant.e.s du paradigme du « do not harm » ont tendance à refléter de façon abstraite les problèmes des personnes qu’elles rencontrent dans leurs recherches (à travers leurs publications) et s’en tiennent à des postures d’observation face aux souffrances. Même s’il s’est infléchi dans sa dernière version (de 2012), le code d’éthique de l’American Anthropological Association a longtemps valorisé l’importance première de « ne pas nuire » (p. 138). Il n’est pas moins vrai que de plus en plus d’anthropologues se soucient d’aider en retour celles et ceux qui les ont aidé.es dans leurs recherches. Il n’y a pas de solutions simples face aux problèmes que cela soulève et c’est la raison pour laquelle les conséquences de ces structures de pouvoir sont régulièrement remémorées ou débattues dans les congrès d’anthropologie. En fait, de nos jours, le code d’éthique de l’AAA est dépassé et chacun.e le mobilise comme il l’entend. L’idée de réciprocité s’est largement généralisée dans l’appréciation des relations d’enquête (p. 141). Reste à savoir comment les enquêtes sont perçues et appréciées par les personnes qui y ont concouru et comment elles leur bénéficient. Robert Borofsky compare alors deux projets de grande ampleur (p. 142-145), menés l’un en Micronésie après la Deuxième Guerre Mondiale et jusqu’aux années 1990, et l’autre au Pérou, dans les années 1960 principalement. Il en ressort que celui mené au Pérou a permis des apports substantiels pour les populations quechuas car les anthropologues ont été davantage en lien avec les administrateurs et ont facilité l’implication politique des personnes concernées.

Pour le dire autrement, une question qui se pose est celle de savoir comment montrer les réalisations et apports effectifs du paradigme de l’anthropologie publique, sachant que, dans le monde universitaire, les obligations de rendre des comptes (« accountability standards », p. 145) sont très présentes29. Là où le paradigme quasi-hégémonique promeut les calculs quantitatifs, celui de l’anthropologie publique se veut plus pragmatique en cherchant à valoriser la pertinence des problématiques sociales soulevées. Robert Borofsky recourt ici à trois exemples, de grande ampleur à nouveau : le projet de créer des « villages milleniums » en Afrique par l’économiste Jeffrey Sachs afin de lutter contre la pauvreté, logique planificatrice qui n’a abouti à rien de concret mais l’a aidé à progresser dans sa carrière ; celui de reboiser Haïti par l’anthropologue Gerald F. Murray et qui, par-delà les apparences de certains résultats présentés, n’a pas mené à grand-chose non plus mais a également bénéficié à la carrière de son promoteur ; les recherches des économistes Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Dean Karlan contre la pauvreté, basées sur des enquêtes minutieuses et contextualisées, ont produit des savoirs cumulatifs contrôlés et ont largement bénéficié à de nombreuses personnes (p. 147-156). La transparence apparait ainsi comme un facteur-clé pour qu’une confiance soit accordée aux recherches effectuées, qu’il soit possible d’affiner des interprétations ou d’accumuler des savoirs positifs. En anthropologie plus particulièrement, l’importance de la transparence ressort de deux façons cruciales (p. 158-161) : d’une part, au regard notamment de la longue tradition de participation de la discipline à des entreprises gouvernementales de renseignement et d’espionnage, les motifs, tenants et aboutissants des enquêtes anthropologiques doivent être clairs et discutés avec les personnes rencontrées sur le terrain. D’autre part, la transparence doit se retrouver dans les publications afin de produire des ethnographies fiables. Par ailleurs, les pratiques coopératives (p. 161-164), même si elles ne sont pas toujours simples à mener, sont un très bon moyen pour que des recherches bénéficient à autrui. Elles présentent les avantages d’atténuer l’importance des critères académiques dominants aux yeux des universitaires, d’exister déjà en de très nombreux exemples, de renforcer le caractère actif des participants et participantes aux recherches et de prendre du temps autrement qu’en publications.

Le chapitre 4, « Make Your Voice Count » (p. 173-194), met l’accent sur les voies et moyens que peuvent emprunter les anthropologues pour faire entendre les apports spécifiques de leurs arguments. Les méthodes de la discipline permettent, en effet, de comprendre de façon originale les problèmes sociaux et de proposer des solutions, que l’on pense par exemple aux recherches de Frederik Barth sur les conflits ethniques ou à celles de Philippe Bourgois et Jeff Schonberg sur l’addiction aux opiacées (p. 174-175). Ils ont réussi à mener des enquêtes avec acuité et à faire part de leurs réflexions et conclusions à une audience large. Il n’en demeure pas moins que réussir à changer les structures sociales est une tâche de très longue haleine. Si des enjeux de temporalité et de pertinence entrent en ligne de compte, la question est surtout de trouver des supports (partenaires, organisations) qui relaient les messages. Les anthropologues ne sont généralement pas habitué.e.s à réfléchir à cela. Il y a pourtant un travail à mener pour préciser les informations, cibler les bons espaces pour les diffuser, ne pas s’en tenir à quelques interlocuteurs et interlocutrices ou décideurs et décideuses. Borofsky mentionne deux précautions à prendre pour mener de tels exercices (p. 182) : (1) la conscience que partager un message aboutit tendanciellement à en perdre le contrôle, (2) la prudence dans le choix des groupes avec lesquels on souhaite travailler. Après avoir discuté plusieurs cas d’efficacité (ou non) d’informations transmises, comme par Edward Snowden à propos de la NSA ou par Nancy Scheper-Hughes à propos du trafic d’organes (p. 182-192), Borofsky insiste sur l’importance de réfléchir aux contenus des messages par rapport aux publics choisis, de trouver le meilleur timing pour que ceux-ci soient bien entendus et donc de persister si nécessaire, et de penser aux contestations politiques auxquelles les anthropologues peuvent contribuer spécifiquement (comme à propos de la lutte contre la guerre du Vietnam) : « speaking truth to power, when one has important data that others are critically interested in, can be an important role for anthropologists » (p. 193).

Enfin, le chapitre 5, « Two Roads Diverged… » (p. 195-230), fait le bilan du livre pour poser sérieusement la question qui constitue son sous-titre : « est-il temps de changer de paradigme ? ». Avancer l’idée que l’anthropologie culturelle est en crise revient à se demander combien d’anthropologues sont prêt.e.s à endosser les changements nécessaires. Revenant encore une fois sur l’importance désormais prise par les métriques (Tichenor 2020) et le chiffrage dans le financement des institutions universitaires américaines, Borofsky établit finalement le paradoxe voulant que si les universitaires ont particulièrement souffert de ces nouveaux standards exogènes, ils et elles s’en sont aussi très bien accommodé.e.s (p. 203). Et si un certain nombre d’entre eux.elles souhaitent changer ces standards, les forces sociales, politiques et financières dans une discipline comme l’anthropologie paraissent très faibles pour y contribuer significativement (p. 205). L’anthropologie ne bénéficie plus de l’assise sociale qu’elle a pu connaitre auparavant. Les médias, d’ailleurs, accordent plus facilement de l’importance à l’archéologie ou à l’anthropologie physique. Pour les anthropologues en poste dans les départements universitaires, la pression du « publish or perish » semble bien importante et produit de la réticence face aux activités « impures » (engagées avec et bénéficiant à un large public) (p. 208). En contrepoint, il n’est pas impossible que les structures académiques porteuses du paradigme quasi-hégémonique pour le moment finissent par promouvoir celui de l’anthropologie publique, dans la mesure où de nombreux lieux de pouvoir souhaiteraient que les sciences sociales contribuent plus directement à la résolution des problèmes sociaux (p. 211). Ce que Borofsky souhaite retenir ici est que les impacts sociaux sont largement inquantifiables (p. 212-213). Comprendre : la récupération de la critique (Boltanski et Chiapello 1999) n’empêchera pas la subversion de la quasi-hégémonie. Apprécier le travail des universitaires d’abord via leurs publications n’est pas nouveau, puisque cela date d’au moins deux siècles. Cette pratique ne va donc pas disparaitre du jour au lendemain. Pour autant, il existe une variété de façon de l’interpréter et les universitaires peuvent plaider pour (1) une évaluation où prime la qualité de leur travail, (2) subir moins de pression à la publication, notamment pour celles et ceux en début de carrière, (3) que les marques de reconnaissance externes au monde universitaire ne soient pas perçues en interne comme dévalorisantes (p. 215-216). Enfin, Borofsky reprend les enjeux et perspectives du paradigme de l’anthropologie publique. Il argue du fait que chercher à être utile à autrui n’est pas contradictoire avec la possibilité de faire avancer la connaissance (p. 218), que la façon de mettre en avant les répercussions d’une enquête coopérative est stratégique pour marquer les esprits et échapper aux standards quantitatifs (p. 222), que le recours à la « comparaison contrôlée » peut être un moyen de contribuer substantiellement aux débats publics (p. 225), que les pratiques coopératives bénéficient à l’ensemble des parties prenantes et peuvent permettre de revitaliser l’anthropologie (p. 227). Cette dernière se trouve donc à la croisée des chemins. Même si cela est difficile et prend du temps, il y a tout lieu de penser que tout le monde gagnerait à considérer les voies alternatives, comme celles qu’il porte sur les fonts baptismaux...

Conclusion

Bien des points peuvent faire l’objet de discussion parmi les arguments exprimés et les points de vue défendus dans ce livre :

Le choix de mobiliser le concept de « paradigme » de Thomas Kuhn semble davantage procéder de considérations pratiques et esthétiques que véritablement épistémologiques (Chalmers 1987 ; Passeron 2006) ;

Il existe certaines lacunes bibliographiques concernant les tentatives d’« auto-ethnographie » des mondes académiques voulant dépasser le cadre du témoignage sur des pratiques professionnelles (Meneley et Young 2005) ;

Les réductions que Borofsky est obligé d’opérer afin d’analyser le volume d’ensemble des publications en anthropologie culturelle américaine sur une année ou les modalités de citations d’ouvrages célèbres ;

Sa focalisation quasi-exclusive sur le champ de l’anthropologie états-unienne, ce qui évacue les questions portées par le courant des « world anthropologies » (Ribeiro et Escobar 2006) et leurs critiques de l’hégémonie dans l’anthropologie mondiale30, ainsi que la discussion sur la place de l’anthropologie publique dans les histoires académiques et politiques d’autres pays (Morreira 2012) ;

Son recours récurrent à des exemples trouvés chez des personnalités, des auteur.e.s célèbres ou dans des projets de grande ampleur, laissant presque entendre qu’il faut un prix Nobel pour lutter efficacement contre la pauvreté et oubliant surtout de considérer l’ordinaire de l’activité des anthropologues ne participant pas ou n’ayant pas de poste dans le champ académique (MacClancy 2013).

Il aurait aussi pu être intéressant que Borofsky aborde les présences actuelles de l’anthropologie dans l’espace public, numériques en premier lieu, sur des plates-formes dédiées (comme avec le site Internet Sapiens31) ou sur des plates-formes vidéo à grande audience (comme YouTube, voir Debove et al. 2021). Enfin, il est étonnant que presqu’aucune attention n’ait été accordée à la muséographie, dont les enjeux ne sont pourtant pas sans lien avec ceux portés par l’auteur. Bref, cette vaste synthèse de fin de carrière a les défauts de ses qualités et parait n’avoir abouti qu’au prix de nombreuses simplifications32, sans doute assez inéluctables malgré une bibliographie d’une centaine de pages. Elle présente l’avantage de rappeler la longue histoire de la participation des anthropologues aux débats publics, ceci au prisme d’enjeux d’économie politique changeants et influant sur les différentes facettes de l’activité scientifique (au sujet de l’édition, voir Anheim et Foraison 2020). Elle contribue aussi à la réflexion sur l’autonomie du champ scientifique (Voilliot 2021) et les libertés académiques (Frangville et al. 2021).

Les préoccupations de Borofsky ne sont pas nouvelles : les interrogations sur l’utilité des recherches anthropologiques et le fait de savoir à qui elles bénéficient remontent au moins à une cinquantaine d’années (Hymes 1972 ; Strathern 1979). Elles ont largement fait partie des débats en « anthropologie politique » (Gledhill 2000 : 214-241) et ressurgissent régulièrement, à propos des rapports entre élaboration des objets de recherche, participation aux débats politiques et réponse aux demandes sociales (Leservoisier et Vidal 2007 : 9) ou à propos de la responsabilité des anthropologues en tant qu’intellectuel.le.s (Bibeau 2009). Par sa façon de se tenir loin des postures idéalistes, d’établir des diagnostics et d’envisager l’action, Borofsky évoque d’autres activistes états-uniens tels que Saul Alinsky (2012). Il n’est pas non plus le premier à avoir envisagé une « anthropologie de l’anthropologie ». Toutefois, quand il parlait de l’« anthropologie d’une démarche ethnologique », Gérard Althabe (1990 : 36-41) réfléchissait aux enjeux de contemporanéité dans l’enquête de terrain et Paul Steven Sangren (2014), de son côté, a surtout invité à (plus que réalisé) une telle démarche, envisageant les obstacles et défenses systémiques pour qui s’y aventurerait. Les propositions de ce livre sont donc inspirantes pour « épaissir » la réflexivité en anthropologie, en l’étendant à la variété des pratiques professionnelles concrètes (Nader 2018, 2019), ainsi que pour reconsidérer à nouveaux frais la fameuse « heure de peine » durkheimienne (Durkheim 2007 : XXXIX). Il convient néanmoins de tenir compte des spécificités des champs académiques de part et d’autre de l’Atlantique (Musselin 2008) : une transposition au cas français supposerait, par exemple, de considérer les effets produits par le fonctionnariat et la quasi-inamovibilité qui en découle, empêchant de s’en tenir à quelques tribunes opportunes pour apprécier l’engagement d’une telle ou d’un tel et aboutissant, trop souvent et peut-être autant que dans la compétition néolibérale, à des problèmes désobligeants.

1 Entendue ici par contraste avec les anthropologies archéologique, biologique et linguistique plus que par opposition avec l’anthropologie sociale.

2 Pour la publication française de ce texte, voir Burawoy (2009), pour une version récente des réflexions de ce sociologue, voir Burawoy (2021) ainsi

3 Pouvant se décliner en une variété de modalités et d’enjeux selon les domaines considérés : les sciences de la nature privilégiant ici les

4 https://hpu.edu/faculty/cla/robert-borofsky.html (dernière consultation le 29/11/2021).

5 Répartis entre différents groupes culturels et linguistiques situés de part et d’autre de la frontière entre le Venezuela et le Brésil, les

6 https://www.publicanthropology.org/ (dernière consultation le 29/11/2021).

7 https://www.ucpress.edu/series.php?p=panth&s=pd&o (dernière consultation le 29/11/2021).

8 https://www.publicanthropology.org/books/ (dernière consultation le 29/11/2021).

9 https://brill.com/view/journals/puan/puan-overview.xml (dernière consultation le 29/11/2021).

10 Pour une recension du premier numéro de Public anthropologist, voir Bourel (2021).

11 Même si nous pouvons noter que ceux-ci ne sont pas forcément indicateurs de l’importance d’une recherche pour les personnes avec qui elle est menée

12 Locution latine signifiant « En premier, ne pas nuire ».

13 « In “controlled comparisons”, anthropologists explore a select number of related contexts involving a limited number of differences and/or

14 Pour une histoire de l’institutionnalisation de l’ethnologie française, voir Karady (1982).

15 Il n’est pas possible de parler d’une « hégémonie » au sens pleinement gramscien du terme puisqu’il prenait initialement une ampleur sociale (

16 Il estime que le nombre total d’articles publiés par les anthropologues états-uniens représente au moins le double.

17 La rareté des situations où il est possible de retourner sur les terrains ethnographiés rend d’autant plus important la confiance et la réputation

18 Au sens où celles et ceux citant ces anthropologues majeur.e.s cherchent à prolonger leurs idées.

19 Par Margaret Mead, Cora Du Bois et Anthony Wallace.

20 Avec notamment Marshall Sahlins, Elman Service et les anthropologues s’étant inspirés de Leslie White et Julian Steward.

21 Selon la méthode indiquée, cela donne (p. 78-79) : Service (a) 4 %, (b) 8 %, (c) 88 % ; Rappaport (a) 5 %, (b) 5 %, (c) 90 % ; Harris (a) 0 %, (b)

22 Pour comprendre la différence entre les arguments présentés par Borofsky dans ces deux phrases, il convient de se placer dans une optique (

23 Selon la même méthode (p. 86-87) : Lévi-Strauss (a) 18 %, (b) 13 %, (c) 69 % ; Turner (a) 6 %, (b) 6 %, (c) 89 % ; Geertz (a) 5 %, (b) 5 %, (c) 90 

24 Selon la même méthode (p. 94-95) : Foucault (a) 0 %, (b) 0 %, (c) 100 % ; Wolf (a) 0 %, (b) 5 %, (c) 95 % ; Sahlins (a) 2 %, (b) 6 %, (c) 91 %.

25 Selon la même méthode (p. 105-106) : Clifford et Marcus (a) 0 %, (b) 4 %, (c) 96 % ; Marcus et Fischer (a) 0 %, (b) 13 %, (c) 88 % ; Strathern (a)

26 Locution latine signifiant « Heureux qui vient se rendre utile à ceux qu’il peut aider ».

27 Pour un débat sur la vulgarisation et ses « régimes » dans l’histoire de l’anthropologie, voir le livre de Jeremy MacClancy et Chris McDonaugh

28 Fondation philanthropique qui, en lien avec le gouvernement américain (notamment son département militaire), a contribué au développement, au

29 Impliquant donc de répondre régulièrement à un ensemble de critères d’évaluation qui prennent souvent la forme ou sont in fine traduits en

30 Notons toutefois que de tels débats sont présents dans les publications précédentes de Robert Borofsky. Voir par exemple le livre qu’il a coordonné

31  Sapiens. Anthropology magazine [en ligne], https://www.sapiens.org/ (consulté le 29/11/2021).

32 Par exemple, l’importance de la transparence dans les relations d’enquête ne mentionne pas les contextes pouvant justifier des « covert researches 

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1 Entendue ici par contraste avec les anthropologies archéologique, biologique et linguistique plus que par opposition avec l’anthropologie sociale.

2 Pour la publication française de ce texte, voir Burawoy (2009), pour une version récente des réflexions de ce sociologue, voir Burawoy (2021) ainsi que les ressources disponibles sur son site Internet : http://burawoy.berkeley.edu/ (dernière consultation le 29/11/2021).

3 Pouvant se décliner en une variété de modalités et d’enjeux selon les domaines considérés : les sciences de la nature privilégiant ici les vocabulaires de la « participation » (Bedessem 2020) et de l’« implication » (Coutellec 2015).

4 https://hpu.edu/faculty/cla/robert-borofsky.html (dernière consultation le 29/11/2021).

5 Répartis entre différents groupes culturels et linguistiques situés de part et d’autre de la frontière entre le Venezuela et le Brésil, les Yanomamis ont fait l’objet, à partir du milieu des années soixante, de plusieurs études de la part de chercheurs en anthropologie (Napoleon Chagnon) et en génétique (James V. Neel) ayant donné lieu à des controverses vives quant à la place à accorder à la violence dans leur survie et leur évolution ainsi qu’à propos de questions éthiques (modalités de prélèvements sanguins, transmission de maladies infectieuses par les chercheurs).

6 https://www.publicanthropology.org/ (dernière consultation le 29/11/2021).

7 https://www.ucpress.edu/series.php?p=panth&s=pd&o (dernière consultation le 29/11/2021).

8 https://www.publicanthropology.org/books/ (dernière consultation le 29/11/2021).

9 https://brill.com/view/journals/puan/puan-overview.xml (dernière consultation le 29/11/2021).

10 Pour une recension du premier numéro de Public anthropologist, voir Bourel (2021).

11 Même si nous pouvons noter que ceux-ci ne sont pas forcément indicateurs de l’importance d’une recherche pour les personnes avec qui elle est menée.

12 Locution latine signifiant « En premier, ne pas nuire ».

13 « In “controlled comparisons”, anthropologists explore a select number of related contexts involving a limited number of differences and/or similarities to better understand key cultural dynamics across the groups studied » (p. 6).

14 Pour une histoire de l’institutionnalisation de l’ethnologie française, voir Karady (1982).

15 Il n’est pas possible de parler d’une « hégémonie » au sens pleinement gramscien du terme puisqu’il prenait initialement une ampleur sociale (politique, économique et intellectuelle) dépassant largement le cadre analysé ici.

16 Il estime que le nombre total d’articles publiés par les anthropologues états-uniens représente au moins le double.

17 La rareté des situations où il est possible de retourner sur les terrains ethnographiés rend d’autant plus important la confiance et la réputation des ethnographes et donne une place particulière aux références citées dans les publications ; la spécificité de chaque enquête facilite les comparaisons trompeuses ; de ce même fait, les cas de « ré-enquête » aboutissent souvent à des controverses alors qu’il est assez logique que deux anthropologues s’intéressant à un même groupe aboutissent à des conclusions différentes.

18 Au sens où celles et ceux citant ces anthropologues majeur.e.s cherchent à prolonger leurs idées.

19 Par Margaret Mead, Cora Du Bois et Anthony Wallace.

20 Avec notamment Marshall Sahlins, Elman Service et les anthropologues s’étant inspirés de Leslie White et Julian Steward.

21 Selon la méthode indiquée, cela donne (p. 78-79) : Service (a) 4 %, (b) 8 %, (c) 88 % ; Rappaport (a) 5 %, (b) 5 %, (c) 90 % ; Harris (a) 0 %, (b) 0 %, (c) 100 %.

22 Pour comprendre la différence entre les arguments présentés par Borofsky dans ces deux phrases, il convient de se placer dans une optique (positiviste) où soit il est possible de considérer qu’un auteur ou une autrice établit des savoirs fermement et qu’on peut ensuite repartir de ses apports pour une recherche ultérieure ; soit qu’une nouvelle analyse se construit sur la discussion critique de publications précédentes.

23 Selon la même méthode (p. 86-87) : Lévi-Strauss (a) 18 %, (b) 13 %, (c) 69 % ; Turner (a) 6 %, (b) 6 %, (c) 89 % ; Geertz (a) 5 %, (b) 5 %, (c) 90 %.

24 Selon la même méthode (p. 94-95) : Foucault (a) 0 %, (b) 0 %, (c) 100 % ; Wolf (a) 0 %, (b) 5 %, (c) 95 % ; Sahlins (a) 2 %, (b) 6 %, (c) 91 %.

25 Selon la même méthode (p. 105-106) : Clifford et Marcus (a) 0 %, (b) 4 %, (c) 96 % ; Marcus et Fischer (a) 0 %, (b) 13 %, (c) 88 % ; Strathern (a) 7 %, (b) 13 %, (c) 80 %.

26 Locution latine signifiant « Heureux qui vient se rendre utile à ceux qu’il peut aider ».

27 Pour un débat sur la vulgarisation et ses « régimes » dans l’histoire de l’anthropologie, voir le livre de Jeremy MacClancy et Chris McDonaugh, Popularizing anthropology (1996) ainsi que ses recensions dans les revues L’Homme (Debary 1998) et Gradhiva (Bénéï 1998).

28 Fondation philanthropique qui, en lien avec le gouvernement américain (notamment son département militaire), a contribué au développement, au déploiement dans le monde (valorisation des recherches de terrain) et à l’organisation cognitive (conceptions orientalistes de l’altérité, études selon une logique aréale, par exemples) des sciences sociales américaine (Nugent 2010, 2021).

29 Impliquant donc de répondre régulièrement à un ensemble de critères d’évaluation qui prennent souvent la forme ou sont in fine traduits en indicateurs chiffrés.

30 Notons toutefois que de tels débats sont présents dans les publications précédentes de Robert Borofsky. Voir par exemple le livre qu’il a coordonné sur les écritures de l’histoire des sociétés du Pacifique (Borofsky 2000).

31  Sapiens. Anthropology magazine [en ligne], https://www.sapiens.org/ (consulté le 29/11/2021).

32 Par exemple, l’importance de la transparence dans les relations d’enquête ne mentionne pas les contextes pouvant justifier des « covert researches » (Calvey 2017).

Etienne Bourel

Doctorant en anthropologie (LADEC – Université Lyon 2), Etienne Bourel a mené des recherches ethnographiques dans le milieu de l’exploitation forestière au Gabon, au croisement des anthropologies politique, du travail et de l’environnement.

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