Une contribution anthropologique aux théories critiques de l’énergie ?

À propos de Anthropological Quarterly, vol. 87, 2014

Etienne Bourel

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Etienne Bourel, « Une contribution anthropologique aux théories critiques de l’énergie ? », Lectures anthropologiques [En ligne], 5 | 2019, mis en ligne le 16 février 2024, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.lecturesanthropologiques.fr/658

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Compte rendu de Boyer Dominic (coord.), 2014, « Energopower and Biopower in Transition », Anthropological Quarterly, vol. 87, n° 2.

Le dossier présenté dans cet article est intitulé : « Energopower and biopower in transition ». Coordonné par Dominic Boyer, il est composé de sept textes : une introduction du coordinateur, cinq études de cas écrites individuellement (Gökçe Günel, Cymene Howe, Hannah Knox et Douglas Rogers) ou en binôme (Catherine Alexander et Joshua O. Reno) et une conclusion d’Imre Szeman. Il vise à mettre les concepts d’« energopower » et d’« energopolitic », en dialogue notamment avec ceux (foucaldiens) de biopouvoir et de biopolitique1. Il s’agit, avant toute chose, de contributions particulièrement stimulantes autant du point de vue de ce que les anthropologues peuvent verser aux domaines d’études ouverts par Michel Foucault (1984 ; 1997) — ici, autour des concepts de gouvernementalité et de biopouvoir — que de celui des approches interdisciplinaires et par thème de l’anthropologie. Les réflexions proposées, riches sur les plans méthodologiques, théoriques et épistémologiques se veulent aussi impliquées au sens de critiques de politiques publiques et de balisage de perspectives alternatives. C’est donc au regard des liens entre science et politique que ce dossier est envisagé. Après avoir présenté Dominic Boyer, nous livrerons sa réflexion sur l’énergopouvoir, puis nous ferons de même pour l’ensemble des contributions du dossier. Enfin, nous discuterons les différentes positions des auteur.rice.s au regard des enjeux politiques et écologiques actuels que représente l’énergie.

Étapes, aspects et motifs de l’élaboration du concept d’« énergopouvoir » par Dominic Boyer

Actuellement professeur au département d’anthropologie de la Rice University à Houston (Texas) et directeur du CENHS (Center for Energy and Environmental Research in Human Sciences), Dominic Boyer2 est un auteur au parcours particulièrement éclectique et aux réflexions aussi profondes qu’originales pour penser les mondes contemporains. À la faveur de travaux de terrain menés principalement en Allemagne, en Islande et au Mexique, il a abordé un ensemble de thématiques allant du rôle des experts et des intellectuels dans l’espace public et dans la construction des nationalismes à celui des journalistes aux différents niveaux de la production et de la circulation de l’information. Depuis bientôt une dizaine d’années, il a prolongé ses investigations sur les relations entre savoir et pouvoir en les réorientant autour des questions écologiques et énergétiques. Ses analyses sont toujours en prise avec l’épistémologie et la philosophie. Reprenant Dilthey et dialoguant avec Rabinow, il est porteur de propositions relatives au travail de théorisation, pour faire face à la multiplicité de théories élaborées en sciences humaines et sociales et à la tendance à la spécialisation. La « méthode multiattentionnelle » qu’il envisage (Boyer 2010) vise à tirer le meilleur parti de la variété des propositions théoriques disponibles en considérant leurs apports et complémentarités respectives plutôt que leurs incompatibilités mutuelles. En épilogue de son ouvrage The life informatic (2013), il propose une relecture de l’histoire des sciences sociales et de l’anthropologie pour mettre en avant l’influence de l’électricité — entendue comme métaphore — dans une variété de perspectives théoriques, par exemple chez Sigmund Freud ou Marshall McLuhan, puis à la faveur du développement de la cybernétique dans les années cinquante, celle d’une « raison digitale » qui a largement fécondé de grands courants, à commencer par le structuralisme.

Bien que les analyses de Dominic Boyer sur l’énergie ne soient ni récentes ni circonstancielles, elles gagnent encore en force dans l’ouverture de ce dossier, « Energopower: an introduction » (p. 309-333), puisque Boyer n’y porte plus seulement son attention sur l’énergie électrique, mais également sur celle liée au pétrole et propose une réflexion d’ensemble à propos de la place de l’énergie en régime capitaliste3. Une nouvelle fois, il commence par procéder à une relecture de l’histoire de l’anthropologie au prisme de la question énergétique et distingue ainsi trois générations. La première, qu’il situe entre la fin des années quarante et la fin des années cinquante, est principalement marquée par les publications de Leslie White, laquelle propose un retour aux perspectives évolutionnistes à partir du rapport à l’énergie des différentes sociétés humaines. L’énergie était, pour White, à entendre comme la véritable clé de la vie humaine et de l’histoire. Sa relation aux formes sociales s’inscrivait dans un matérialisme dialectique expliquant les résistances et les évolutions. Si nous pouvons savoir gré à White d’avoir avancé l’idée que la société capitaliste est une société du pétrole « en son essence », il n’en demeure pas moins que ses élaborations théoriques furent basées sur une application directe de certaines lois physiques — à commencer par la fameuse Seconde loi de la thermodynamique détaillant la tension entre concentration de l’énergie et entropie4. Cependant, si leurs aspects « mécaniques » donnèrent facilement forme aux idées de White, ces dernières ne résistèrent pas à la confrontation avec les situations empiriques.

La seconde génération a émergé dans les années soixante-dix et quatre-vingt, notamment autour du réseau nommé « Michigan anthropology » et de noms tels que Richard N. Adams (1975, 1978), Roy Rappaport (1971) ou Laura Nader (2010). White restait pour eux une figure tutélaire, mais Rappaport et Nader ont cherché à élaborer la réception et l’application des lois de la thermodynamique dans l’analyse des relations entre énergie et société, notamment dans le cadre de systèmes ouverts et complexes. De plus, les préoccupations de ces chercheurs n’étaient pas strictement abstraites puisqu’ils publièrent des études critiques sur les formes et normes d’utilisation énergétique dans les sociétés industrielles et sur leurs impacts pour les communautés autochtones. Les problématiques soulevées se rapportaient prioritairement aux droits de ces groupes et aux impacts environnementaux, des activités extractives en premier lieu. Elles permirent, chez Nader (op.cit.) par exemple, d’intégrer les experts dans le champ de l’analyse. Ces questionnements sont restés centraux dans le domaine de l’anthropologie de l’énergie même si, à cette époque, ce domaine n’a eu quantitativement que peu d’importance (conséquence potentielle du caractère « appliqué » des perspectives de cette deuxième génération).

À propos de ces deux premières générations, Dominic Boyer note qu’elles ont accompagné les moments de vulnérabilité ou de transition des régimes dominants d’énergopouvoir : White a placé l’énergie au centre de la compréhension des cultures humaines à l’époque de la révolution de l’énergie nucléaire (au milieu des années quarante) ; quant à la deuxième génération, elle a émergé dans le sillage du choc pétrolier de 1973, qui a marqué la fin d’un certain impérialisme des puissances du Nord sur le contrôle des énergies fossiles. Après deux décennies de « baisse de régime » des recherches en anthropologie de l’énergie, corrélative à un réengagement des pays industrialisés dans le charbon et le nucléaire, c’est à partir du milieu des années deux mille qu’une nouvelle vague de publications en anthropologie de l’énergie a indiqué l’émergence d’une troisième génération. Toujours basée sur des études de cas concrets, mais mue par une ambition théorique plus affirmée, elle témoigne, selon Boyer, d’une volonté de repenser le pouvoir politique à travers le pouvoir énergétique5. Tâche à laquelle s’attelle également et en conséquence le présent dossier. Dans le même mouvement, un intérêt grandissant pour les enjeux relatifs à l’énergie semble notable au sein de la discipline, et c’est à l’explicitation de ce changement que l’auteur réfléchit dans la suite de son introduction.

Ainsi, selon Dominic Boyer, les motifs de ce regain d’intérêt sont multiples. Il note tout d’abord que cette tendance n’est pas uniquement présente en anthropologie, mais aussi dans l’ensemble des sciences humaines où d’importants débats et recherches ont vu le jour ces dernières années. Ceux-ci portent sur des thématiques telles que le changement climatique, l’expertise en climatologie, les intrications entre combustibles carbones et pouvoir politique, le développement durable et l’urbanisme « bas carbone », les potentialités de la théorie écologique, la place du pétrole dans la littérature et les arts et, plus largement, les analyses critiques de la « pétroculture ». Un tel ensemble à la fois simultané et non coordonné de publications donne à penser qu’il s’agit d’une prise de conscience d’aspects plus profonds, voire fondamentaux, de notre époque. Le fameux essai de Dipesh Chakrabarty (2009) « The climate of history. Four theses » est cité par Dominic Boyer — comme il le sera par plusieurs contributeurs du dossier — pour résumer le « concernement » à l’œuvre : l’explication anthropogénique du changement climatique signe la fin de la distinction, issue de la pensée humaniste, entre histoire naturelle et histoire humaine. Ce concernement, selon Boyer, a des implications épistémologiques pour l’ensemble des humanités et des sciences humaines. Il demeure évident que l’Anthropocène n’est pas qu’un phénomène discursif, et les anthropologues de la troisième génération sont particulièrement sensibles à chacune de ses occurrences, exprimées sous forme de catastrophes environnementales. Toutes les certitudes et promesses issues de la modernité (croissance infinie, abondance, santé et contrôle productif sur la « nature ») se sont évaporées et n’apparaissent plus que comme l’expression d’un malthusianisme tragique.

Par ailleurs, si la crise écologique que nous connaissons ne devient un problème public qu’actuellement, elle a été pressentie depuis des décennies et n’est pas la première manifestation d’un mal-être envers la « modernité ». Dans le monde universitaire, ce mal-être s’est déjà exprimé par une série de tournants qu’il est désormais possible d’envisager comme « anti-anthropocentriques » (Boyer, ce dossier). Nous pouvons ici faire référence aux courants des « sciences and technologies studies » (STS) (Akrich, Callon et Latour, 2006), aux analyses de Michel Foucault sur les relations entre savoir et pouvoir (op.cit.), aux diverses variations post-humanistes — avec Donna Haraway (2016) en figure de proue —, dont les propositions, sans être systématiquement très constructives, n’en ont pas moins influencé les anthropologues de l’énergie de la troisième génération. C’est notamment l’affirmation de l’importance d’une éthique de l’interdépendance et de l’interresponsabilité écologique qui en ressort. Selon Boyer, dans une certaine mesure, cette éthique constitue une manière de nourrir (autrement) l’aspiration contemporaine (et moderne) à la « durabilité » (« sustainability »). Il s’agit, en effet, de conserver les formes modernes de plaisir et de pouvoir, tout en renonçant aux demandes constantes d’accroissement des intensités et des grandeurs.

S’il considère en ce sens ces visées comme très bénéfiques, Boyer se montre davantage circonspect à l’égard des critiques adressées au kantisme et à la tradition phénoménologique au sein du ou des tournant(s) anti-anthropocentrique(s). Les débats portent principalement sur le statut ontologique à accorder aux humains à travers le réexamen des agencements et formes d’action qui peuvent exister dans le monde. Pour Boyer, et c’est un point important de son argumentation, le problème principal consiste à considérer que nous sommes d’abord redevables du fait d’avoir agi comme si nous étions modernes pendant longtemps. Il suit ici Chakrabarty (2009), qui estime que prendre acte de l’Anthropocène implique d’avoir encore plus besoin des Lumières (équivalent ici de la « raison ») que par le passé. De la sorte, si les Lumières permettent d’accélérer le processus de prise de responsabilité face à l’Anthropocène, nous devons nous y ranger, sous peine de continuer à patiner via de petites distractions ou des tactiques de perte de temps comme nous n’en avons que trop connues jusqu’à présent. Boyer analyse, plus avant, la place singulière des pensées anti-anthropocentriques en anthropologie, discipline largement anthropocentrique dans sa constitution et son histoire. Pour lui, le nœud épistémique de l’anthropologie reste largement kantien, dans ses attentions praxéologiques, sémiologiques et phénoménologiques à l’expérience humaine, ce qui, par rapport aux enjeux de l’époque présente, lui semble une bonne chose. Toutefois, à côté de cela, il constate, dans la discipline, la montée en importance de débats qui animent les sciences sociales plus largement : néomatérialisme, enquêtes multispécistes, intérêts renouvelés pour l’ontologie. Influencées par les philosophies de Deleuze et, avant lui, de Spinoza, ces tendances voisinent désormais avec les anthropologies plus conventionnelles. Par son intérêt pour le discours et la vérité, Foucault apparait, de ce point de vue, comme un philosophe d’inspiration kantienne.

En s’attachant à faire dialoguer biopouvoir et énergopouvoir, le dossier que coordonne Dominic Boyer se veut donc un reflet de ce nouveau voisinage. En effet, bien que les concepts de « biopouvoir » et de « biopolitique » aient été productifs pour penser le pouvoir politique en anthropologie ces dernières décennies, leurs acceptions restent largement ancrées dans une conception humaine de la gestion et du contrôle de la vie et de la vitalité, que ce soit chez Foucault lui-même ou chez les principaux anthropologues s’en étant inspirés (Paul Rabinow, Nicolas Rose, Didier Fassin, Charles L. Briggs et Mark Nichter). La prise en compte de l’Anthropocène suppose ici de procéder à la « subversion respectueuse » de l’étendue de ces concepts c’est-à-dire, d’en conserver l’esprit tout en les envisageant selon de nouvelles perspectives. L’objectif de cette subversion est de prolonger le projet foucaldien de réflexion sur la constitution des subjectivités à travers l’histoire et, ainsi, de ne pas en faire des idées à portée transhistorique. D’une part, l’Anthropocène suppose de repenser les modèles anthropocentriques d’action sur l’environnement. D’autre part, les remises en cause de la viabilité et de la pérennité des énergies fossiles et nucléaires ont fissuré les fondations des régimes biopolitiques contemporains. Les concepts d’énergopouvoir et d’énergopolitiques émergent de ce nouveau contexte puisqu’ils visent à mettre des mots sur l’idée que les conditions actuelles de vie sont, de façon croissante, mais de moins en moins stable, liées à des infrastructures, amplitudes et habitudes particulières de recours à l’électricité et au pétrole (p. 323). Comme le feront tou.te.s les auteur.rice.s du dossier à l’exception de Gökçe Günel, Boyer marque ici sa dette envers Timothy Mitchell qui, dans ses travaux sur la Carbon democracy (2011), a montré la dépendance des pouvoirs démocratiques modernes à l’égard des systèmes d’énergie carbone. Assumant le caractère peut-être provocateur, mais assurément fertile, de l’hypothèse, il propose d’envisager « l’énergopouvoir comme une généalogie alternative du pouvoir moderne » (p. 325). Son argument central est le suivant : « Above all, energopower is a genealogy of modern power that rethinks political power, through the twin analytics of electricity and fuel » (p. 325). Ce concept ne vise pas à remplacer, mais à compléter et enrichir, épaissir les perspectives ouvertes par celui de biopouvoir « to comprehend the organization and dynamics of political forces across different scales » (p. 326). Il s’agit véritablement de penser leurs interdépendances ou enchevêtrements : « energopolitical crisis is generating biopolitical effect and vice-versa » (p. 328).

Le concept d’énergopouvoir ne désigne donc pas une sorte de pouvoir particulier, mais une méthode analytique pour le comprendre. Tout comme celui de biopouvoir, il n’a pas la prétention à tenir lieu de vérité absolue, étant entendu que son élaboration procède d’une remise en cause de cette possibilité même. En ce sens, il relève plus d’une inspiration phénoménologique ou hegeliano-marxiste qu’ontologique. S’il est certain que nous vivons actuellement une époque de transition, le futur quant à lui demeure incertain. Nous n’avons pas encore suffisamment conscience, non seulement de l’importance des énergies carbones et nucléaires dans notre société, mais aussi de l’ampleur — inefficiente et oppressante — des chaînes d’approvisionnement liées à ces systèmes, ainsi que des formes de centralisation politique qu’elles supposent. S’il semble donc tout indiqué de porter plus d’attention à l’anthropologie de l’énergie, nous nous trouvons aussi à un moment d’urgence et d’opportunités politiques et culturelles. Paraphrasant Marx, Boyer termine son introduction en appelant celles et ceux qui ne veulent pas simplement analyser le monde, mais également le changer, à prêter attention aux alternatives qui émergent et à remettre en cause le statu quo anthropocentrique, si ce n’est dans les institutions, au moins dans les imaginations humaines. Et les anthropologues sont, a priori, particulièrement bien outillé.e.s pour cela.

Cette première partie a été relativement développée afin de saisir avec précision les prises de position que suppose le concept d’énergopouvoir. Comme le laisse entendre la lecture du dossier où plusieurs contributions se réfèrent directement à son introduction, ce concept a véritablement été travaillé par les différent.e.s auteur.rice.s.

Cinq variations énergopolitiques

Le premier article du dossier est intitulé « From biopower to energopolitics in England’s modern waste technology » (p. 335-358). Il est signé par Catherine Alexander et Joshua O. Reno. Il s’agit d’une comparaison entre deux études de cas d’implantation de technologies visant à générer de l’énergie par le recyclage de déchets en Angleterre. La première étude porte sur le système de cogénération par incinération mis en place à partir des années soixante à Sheffield (Yorkshire du Sud), qui visait à apporter chauffage et électricité dans les habitations populaires des quartiers environnants. La seconde est relative à une usine de méthanisation construite dans les années deux mille à Holsworthy (Devon), région d’élevage où la récupération des déchets animaliers devait également permettre la production de chaleur, mais aussi aboutir à différents résultats positifs pour le développement local (vente d’électricité, minimisation de certains aspects déplaisants des élevages sur le voisinage). L’article présente ces projets, les idées dont ils étaient porteurs et les raisons pour lesquelles ils ont été implantés. Puis il détaille leurs effectivités concrètes et les nuances à apporter à leur succès (Sheffield), ou les raisons de leur échec (Holsworthy). Il cherche à montrer que ces deux projets ont été des sujets de luttes politiques, et que leur compréhension comme leurs conclusions en termes de succès ou d’échec dépendent du point de vue considéré.

Selon les deux auteurs, le recyclage des déchets a été constitué en question biopolitique en Angleterre au début du vingtième siècle. En intervenant à l’échelle industrielle, l’État souhaitait protéger des maladies les populations urbaines grandissantes, et ainsi préserver le « corps politique » de la nation. Toutefois, dans les deux cas, le contexte est néolibéral : si ces projets ont fait l’objet de luttes sociales, c’est parce que la prise en compte des enjeux pour la stabilité environnementale et la vie humaine ont été supplantés par des recherches de profit à court terme de la part d’industriels privés. Les technologies de recyclage des déchets pour produire de l’énergie fournissent une configuration tout à fait singulière de l’intrication entre biens publics et vies privées, puisqu’il s’agit de mettre en place une récupération de déchets domestiques qui sont transformés puis retournés vers la sphère domestique sous forme de chaleur. Les canalisations matérialisent le lien entre domaines publics et privés. Les deux situations renseignent sur la façon dont les déchets deviennent une forme de valeur et font écho aux caractéristiques anglaises des énergopolitiques : sur les enjeux de régulation entre ce qui ressort du domaine public et du domaine privé, et sur la constitution des publics, leurs mobilisations et instrumentalisations autour d’un problème. Elles posent la question de la matérialité de la participation et supposent de considérer les différentes échelles des bénéfices environnementaux et sociaux attendus. En effet, dans les deux cas, les infrastructures publiques ont été confiées à des opérateurs privés. L’idée que la maximisation des profits privés aboutit à des bénéfices publics, comme le veut la vulgate smithienne, est alors fortement contestée, par les habitant.e.s en premier lieu. Les habitant.e.s ont lutté pour montrer une dégradation du bien-être local, renvoyant en même temps à des enjeux globaux. Pour autant, leurs revendications exprimées en matière de biens publics n’étaient pas toujours claires, réalisables, stables, ni dénuées de contradictions entre elles.

La question de la (bio)énergie est donc ici particulièrement politique, en premier lieu parce que les enjeux portent sur la répartition des bénéfices, entre public et privé. S’appuyant sur les méthodes d’analyse des controverses scientifiques et sur la tradition pragmatique de construction des problèmes publics, l’article montre que les modalités d’établissement de vérités quant à ces projets renvoient aux circulations des savoirs et aux capacités des acteurs à les faire valoir et à les remémorer. Les changements d’échelle selon les perspectives des acteurs ou groupes d’acteurs sont aussi particulièrement importants à considérer : d’un enjeu public global (la réduction des émissions de carbone), les politiques étatiques localisent et privatisent le problème et, ce faisant, génèrent des contestations émises localement, mais fondées par leurs renvois aux enjeux globaux. On peut toutefois noter que la capacité des groupes technocrates ou environnementalistes à faire valoir une lecture en termes de succès ou d’échec des technologies de recyclage, repose largement sur leur capacité à mettre en spectacle leurs arguments pour qu’ils s’inscrivent, tant de façon scripturaire que cognitive, dans les mémoires et ainsi dans la longévité. Se pose donc ultimement la question du maintien de l’expérience acquise dans le cadre de projets de petite échelle et de la transmission de cette expérience aux publics adéquats.

La seconde contribution du dossier est proposée par Gökçe Günel et s’intitule « Ergos: a new energy currency » (p. 359-379). Elle détaille un projet de construction de la première ville « zéro carbone », Masdar city, lancé à proximité d’Abou Dhabi aux Émirats arabes unis en 2006. D’un coût initialement estimé à vingt-deux milliards de dollars américains, la ville était censée, à terme, accueillir cinquante mille habitant.e.s et mille cinq cents entreprises. En lien avec le MIT (Massachusetts Institute of Technology), un institut de sciences et technologies a été créé et c’est en son sein que l’enquête fut menée. Un des pans du projet consistait à établir une devise monétaire basée sur la consommation énergétique. Les habitant.e.s de Masdar city devaient être amené.e.s à réguler les budgets énergétiques qui leur auraient été alloués via ces crédits énergétiques nommés « ergos ». Gökçe Günel montre l’ampleur normative de cette expérimentation, tant sur le plan de la discipline — l’humain comme corps — que sur celui de la biopolitique — l’humain comme espèce. En effet, l’enjeu ici était de réguler la population à travers de nouvelles habitudes d’usage énergétique et, en même temps, de recourir à des mesures disciplinaires pour réguler les comportements individuels. L’auteur envisage, en conséquence et dans une discussion serrée avec certaines leçons de Michel Foucault (1997), que ce projet de devises énergétiques a conduit à l’élaboration de « biopolitiques disciplinaires » (p. 362).

Ce projet peut être entendu comme une façon d’exprimer un concernement par rapport à des problèmes politiques et environnementaux globaux et non plus simplement nationaux. Il exprime également une projection vers un futur où les cadres de vie auront été tellement dégradés que les questions de conservation énergétique seront devenues absolument centrales. Ce faisant, il envisage la disciplinarisation et la régulation des nouvelles relations sociales, politiques et économiques par la mise en visibilité complète du caractère énergétique des actions et des organisations. Comme, au moment de l’étude, le projet n’était pas encore implanté, une bonne partie de l’article consiste à revenir sur les motivations et justifications morales des chercheur.se.s et ingénieur.e.s impliqué.e.s. L’auteur montre, chez ces dernier.e.s, une technophilie naïve et libérale impliquant que les nouvelles technologies disponibles constituent, par elles-mêmes, des mécanismes éducatifs permettant de faire des choix libres, mais correctement informés. Ces convictions leur permettent d’éluder les éventuels aboutissements dystopiques de leurs efforts.

Dans l’article suivant : « Anthropocenic ecoauthority: the winds of Oaxaca » (p. 381-404), Cymene Howe détaille les enjeux relatifs à l’implantation d’un parc d’éoliennes dans l’isthme Tehuantepec (état d’Oaxaca au Mexique), site particulièrement privilégié sur le plan météorologique pour un tel projet. Une fois de plus, les jeux d’échelle mettent en valeur les différences entre, d’un côté, la conception scientifique et technique du projet ainsi que sa mise en place politique et managériale et, de l’autre, les conceptions locales de l’environnement, contradictoires avec ces visées et menant à des résistances. L’autrice analyse différentes façons de se réclamer d’une « écoautorité anthropocénique », c’est-à-dire, différentes façons de faire établir comme vérité certains points de vue sur la situation écologique présente et à venir, dans un contexte de changement climatique. De telles velléités peuvent émaner de communautés locales, de représentant.e.s de l’État ou d’entreprises, ou encore d’experts environnementaux, et renvoient à différents positionnements éthiques relatifs à l’impact des activités humaines sur la biosphère. Il s’agit, dans ce cas, de comprendre les positionnements culturels et politiques relatifs à la transition énergétique au croisement d’agentivités, de points de vue individuels et d’expériences subjectives. En effet, les discours et pratiques écologiques des acteur.rice.s ou groupes d’acteur.rice.s reflètent leurs prises de position par rapport à l’autorité étatique, aux régimes de savoirs et aux perceptions changeantes de l’environnement. Dans une région où chaque projet de développement est perçu comme le renouvellement de vieilles habitudes marquées par un capitalisme, du « caciquisme » et par la corruption, l’État n’a pas réussi à établir son écoautorité, sous la forme d’un discours « gagnant-gagnant » sur les plans économiques et éthiques à toutes les échelles de la société. Non seulement la répartition des bénéfices a été remise en cause par les populations locales, car les investissements promis dans les infrastructures ont semblé insuffisants par rapport aux profits potentiels des entreprises, mais le gouvernement mexicain s’est fourvoyé en ne se montrant pas à la hauteur de ses responsabilités lors de l’obtention du consentement (jugé libre et éclairé) des communautés autochtones directement concernées.

Plutôt que de considérer les retombées bénéfiques, les voix de la résistance ont alors fait valoir que la mise en place du parc éolien aboutirait à une dégradation de l’environnement local. Elles ont, de plus, exprimé leurs inquiétudes quant à la possibilité, pour les résident.e.s de la région, de maintenir leurs modes de vie et de travail basés sur la pêche et sur un rapport de proximité avec l’environnement marin. Cette situation a mis en avant une autre écoautorité passant par l’élaboration épistémique d’une relation entre humains et non-humains. Cymene Howe insiste bien sur la coémergence et, partant, sur la codépendance, de ces différents discours, dans une époque d’incertitudes éthiques où différentes orientations morales peuvent être comprises par rapport aux enjeux environnementaux. De son point de vue, s’il n’existe pas d’incompatibilité a priori entre les valeurs promues par les différentes parties en présence, c’est bien le contexte politique dégradé qui nuit à la confiance nécessaire à la mise en œuvre de ces valeurs. Par ailleurs, en termes de transition énergétique, se posent des questions biopolitiques « classiques » (relatives aux infrastructures scolaires et de santé, à l’aménagement du territoire) à propos desquelles les résident.e.s sont muet.te.s, ce qui constitue aussi une limite à leurs arguments. À l’inverse, si, en dernière instance, les débats sur l’écoautorité anthropocénique interrogent la façon dont la vie sera gérée (ou ne le sera pas) dans le cadre d’une nouvelle ère énergétique, les réponses macrostructurelles actuellement disponibles ne sont pas suffisamment consistantes et restent trop ancrées dans une conception anthropocentrée du biopouvoir.

Le cinquième texte du dossier, « Footprints in the city: models, materiality and the cultural politics of climate changee » (p. 405-429), se veut une discussion plus théorique. Hanah Knox s’y concentre sur la façon dont le changement climatique, en tant que phénomène matériel et politique, a permis la reconfiguration de certains domaines d’intervention dans la vie de populations humaines. Son étude de terrain a été menée auprès de personnes s’impliquant dans la réduction des émissions de carbone à l’échelle urbaine, dans la ville de Manchester. Il s’agit donc d’une étude sur les mises en relation de processus physiques à grande échelle et de pratiques sociales situées dans le cadre d’une gouvernance. Elle souligne que le nouveau contexte n’aboutit pas seulement à la redéfinition de catégories telles que celles de « climat » et « d’énergie », mais aussi à celles — plus conventionnelles dans le champ de l’action publique — de « société », de « population » et d’« individu ». Les enjeux de représentation, d’énumération et de modélisation sont prépondérants. Au travers de la discussion, nous retrouvons la tension déjà bien documentée entre technicisation et politisation des catégories analytiques et des formes d’intervention (Ferguson 1994). L’« énergie » apparait ainsi comme une catégorie instable, hybride, participant pleinement à la configuration des relations sociales et politiques contemporaines. In fine, ce sont les perspectives holistes qui sortent revalorisées, approches avec lesquelles l’anthropologie se trouve particulièrement en prise.

La dernière étude de cas du corpus, « Energopolitical Russia: corporation state, and the rise of social and cultural projects » (p. 431-451) est peut-être, par contraste, la plus descriptive et la moins théorique. Dans la région de Perm (ville située dans l’Oural russe), Douglas Rogers présente la mise en place d’un nouveau régime énergopolitique, consécutif à la crise financière russe de 1998 et dans lequel les grands groupes industriels du domaine énergétique jouent un rôle de premier ordre. Il décrit l’importance qu’a eu pendant une quinzaine d’années, au début des années deux mille, une entreprise d’exploitation pétrolière, Lukoil-Perm, dans le développement local. Cette entreprise a, en effet, entretenu des liens étroits avec les instances régionales de l’État dans l’attribution de centaines de bourses pour des projets sociaux et culturels. De ce fait, elle a joué un rôle nodal dans les transformations sociales devenant un passage obligé, c’est-à-dire une condition de possibilité de projets politiques, biopolitiques et gouvernementaux. En n’oubliant pas de montrer la continuité avec les formes de gouvernance soviétique, l’auteur avance finalement l’idée que ce régime énergopolitique n’est qu’une variation sur l’importance de l’État, car c’est bien l’ensemble constitué par l’entreprise et l’appareil étatique présent dans cette région qu’il convient de considérer et qui est omniprésent. Si la configuration décrite fait écho à des tendances globales allant vers l’interrelation croissante entre pouvoirs industriels et politiques, la mise en perspective historique permet aussi d’insister sur l’aspect contingent et instable des régimes énergopolitiques.

Quelles critiques de l’énergie ?

Le dossier se conclut par un texte assez court d’Imre Szeman, « Conclusion: on energopolitics » (p. 453-464), sorte de plaidoyer pro domo dans lequel l’auteur reprend les points principaux des différentes études de cas. Il revient sur les travaux de Michel Foucault et endosse les arguments de Dominic Boyer : « Energopower is not an alternative because it replaces biopower, but because it insists on the necessary of examining the essential function of energy in the organization and dynamics of political forces across different scales » (p. 456). Cette question méthodologique des jeux d’échelles, nous l’avons vu, a été récurrente dans ce dossier. Elle permet à l’auteur d’exprimer finalement la raison pour laquelle la réflexion sur l’énergopouvoir entraine et implique une nécessité de repenser les formes et organisations politiques, ce en commençant par l’échelle planétaire : les États-nations ne sont plus ici pleinement efficients puisque les biopolitiques ont d’abord été conçues à destination de chacune de leurs populations. Question complexe et d’ampleur puisque, pour suivre les perspectives théoriques considérées, il ne s’agit pas simplement de tirer quelques jolis plans sur la comète (de préférence, comme l’ont montré Catherine Alexander et Joshua O. Reno dans ce dossier, de façon spectacularisée ou médiatisée), mais de réfléchir aux subjectivations possibles à travers de nouvelles configurations de pouvoir.

Les lignes finales du dossier sont donc assez ouvertes tout en ne se leurrant pas sur la difficulté des enjeux soulevés. Entre un futur potentiellement très accessible à l’imagination de nouvelles formes politiques et la complexité d’un diagnostic par rapport auquel il est nécessaire d’être conséquent émerge une tension qui entre en écho avec les dimensions éthiques de nombreuses pensées écologiques (Jonas 2008). Elle appelle à des réflexions et prises de position fines, loin de toute posture idéologique comme un certain populisme bon teint. L’ensemble du dossier repose, en somme, sur cette réflexion relative au sens de la « critique » initiée par Emmanuel Kant (2006), reprise par Michel Foucault (1984) et, pour ce qui nous concerne, prolongée par Dipesh Chakrabarty (op. cit.) et Dominic Boyer (ce dossier). Les examens minutieux des situations considérées au cours des cinq études de cas proposées permettent d’exposer différentes configurations énergopolitiques, d’évaluer leurs enjeux et d’appréhender leurs politisations ou repolitisations dans des situations où les acteurs dominants visent à n’en montrer que les dimensions techniques. Toutefois, le vœu exprimé par Dominic Boyer à la fin de son introduction — à savoir que les articles du dossier soient inspirants pour l’élaboration de nouvelles considérations sur l’énergie, si ce n’est dans les institutions humaines au moins dans les imaginaires — résonne bien étrangement après examen. En effet, à lire les contributions du dossier, les planifications de grande ampleur laissent pour le moins sceptiques quant à leur viabilité ou aux perspectives qu’elles augurent, que ce soit aux Émirats arabes unis ou au Mexique. En ce qui concerne les analyses portant sur des projets passés (en Angleterre ou en Russie), les bilans établis sont pour le moins mitigés, voire négatifs. Enfin, aucune contribution ne présente des alternatives aux configurations étatico-capitalistes qui ne soient pas porteuses de sérieuses limites (au Mexique) ou contradictions (en Angleterre).

La lecture de ce dossier s’avère donc aussi stimulante analytiquement que paradoxale politiquement. Si le dossier ouvre de vastes perspectives de recherche, la réponse à l’urgence dont il procède n’existe finalement que sur un mode incantatoire que nous pourrions résumer ainsi : « il importe de prêter attention aux alternatives écologiques même si, concrètement, rien de bien sérieux ne résiste à l’examen. » Grandeur et misère de l’ethnographie ? Il serait sans doute bien chagrin de s’en tenir à une telle dialectique. La prudence qui ressort des analyses proposées renvoie plutôt à la question de la relation entre socio-anthropologie et normativité, qui a été résumée par Alain Caillé et Sylvain Dzimira : « est-il possible de définir l’état sain ou pathologique d’une société ou d’un individu, et de caractériser les rapports qui doivent alors exister entre eux ? » (2009 : 88). La réponse à cette interrogation est peut-être à trouver, tout en restant au sein de la socio-anthropologie, dans les différentes temporalités et variétés des pratiques envisageables, dont on trouvera une modélisation chez Michael Burawoy (2009)6. Dès lors, en paraphrasant l’Oulipo (OUvroir de LIttérature POtentielle)7, les analyses, élaborations théoriques et incantations de ce dossier apparaitraient comme autant d’« ouvroirs de relations (sociales et au-delà) potentielles » : si l’actualité et l’avenir de la dimension sociale de l’énergie sont à penser au prisme de contraintes fortes et d’enjeux importants, c’est en se confrontant à celles-ci et à ceux-ci selon une variété de pratiques et de perspectives que l’imagination, dans la diversité de ses productions, s’avérera la plus féconde et pertinente pour faire apparaitre de nouvelles possibilités d’organisations et de vie.

1 Nous proposons, en ce sens, de les traduire par « énergopouvoir » et « énergopolitique ».

2 Voir sa page institutionnelle : https://anthropology.rice.edu/dominic-boyer

3 Le lien entre le déploiement de l’énergie électrique et les enjeux d’économie politique via la notion de « réseaux » (tant matériels que sociaux) a

4 Ceci implique qu’un système organisé ne peut aller que vers un désordre croissant en fonction du temps qui passe et des événements qui adviennent.

5 De telles perspectives ont été développées au cours des années quatre-vingt puis affirmées au cours des années quatre-vingt-dix, en France, au

6 L’auteur distingue quatre types de pratiques (savantes/académiques, critiques, appliquées et publiques) selon les modes de discours et les publics

7 Groupe international de poètes, écrivains et mathématiciens, créé à Paris dans les années soixante, qui se réunit en atelier et a pour objectif de

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Burawoy Michael, 2009, « Pour la sociologie publique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 176-177, p. 124-148.

Caillé Alain et Dzimira Sylvain, 2009, « De Marx à Mauss, sans passer par de Maistre ni Maurras », Revue du MAUSS, n° 34, p. 65-95.

Chakrabarty Dipesh, 2009, « The climate of history. Four theses », Critical inquiry, vol. 35, n° 2, p. 197-221.

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1 Nous proposons, en ce sens, de les traduire par « énergopouvoir » et « énergopolitique ».

2 Voir sa page institutionnelle : https://anthropology.rice.edu/dominic-boyer

3 Le lien entre le déploiement de l’énergie électrique et les enjeux d’économie politique via la notion de « réseaux » (tant matériels que sociaux) a été montré par Thomas P. Hughes (1993). Plus largement, des histoires conjointes des sciences et techniques et de l’économie politique à l’époque moderne sont proposées par Alain Supiot (2015) et Joel Mokyr (2018).

4 Ceci implique qu’un système organisé ne peut aller que vers un désordre croissant en fonction du temps qui passe et des événements qui adviennent. Trop directement appliqué (par analogie) à la compréhension des sociétés humaines, il s’en suit un réductionnisme sociologique et une compréhension mécanique des trajectoires sociales. Ainsi, pour Leslie White, « les cultures évoluent au rythme de l’accroissement de l’énergie per capita. […] Les idées principales de White sont une conception de comportement de la personne humaine comme totalement déterminé par un superorganisme culturel ; cet idéalisme s’allie à un matérialisme faisant de la technologie le facteur déterminant d’un système culturel » (Gaillard 2002 : 135). La théorie des climats, dont Montesquieu a fourni une déclinaison célèbre, constitue un autre exemple d’essai d’application linéaire de théories issues des sciences physiques aux sociétés humaines.

5 De telles perspectives ont été développées au cours des années quatre-vingt puis affirmées au cours des années quatre-vingt-dix, en France, au CETCOPRA (Université Paris 1) et autour d’Alain Gras qui, avec Sophie Poireau-Delpech, a proposé le concept de « macro-systèmes techniques » (Gras et Poireau-Delpech 1993). Leur approche est empreinte d’une « téléologie critique » de la modernité et aborde ainsi la question de l’éthique sous un angle plus abstrait et idéal que ne le fait ce dossier. À ce propos, voir par exemple, Gras (2007).

6 L’auteur distingue quatre types de pratiques (savantes/académiques, critiques, appliquées et publiques) selon les modes de discours et les publics concernés.

7 Groupe international de poètes, écrivains et mathématiciens, créé à Paris dans les années soixante, qui se réunit en atelier et a pour objectif de produire de la littérature en quantité illimitée et jusqu’à la fin des temps. Voir [en ligne], https://www.oulipo.net/fr/oulipiens/o (consulté le 17.11.2019).

Etienne Bourel

Etienne Bourel est anthropologue, doctorant au LADEC (université Lumière-Lyon 2). Sa thèse porte sur les conditions de travail et de vie dans les chantiers forestiers au Gabon et sur la prise en compte du développement durable dans le secteur de l’exploitation forestière en Afrique centrale. Dans le cadre de ses recherches portant sur les domaines du politique, du travail et de l’environnement, il a produit plusieurs chapitres d’ouvrages et publié des articles dans les revues Autrepart, Cahiers d’études africaines et Sociologies pratiques. Avec Judith Hayem, il a coordonné un numéro du Journal des anthropologues (n° 158-159, 2019) intitulé « Subjectivations du(es)/au travail ».

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