Ethnomusicologies, anthropologies de la musique et de la danse : quelques voix de Londres

À propos de Stephen Cottrell (dir.), Music, Dance, Anthropology, 2021.

Talia Bachir-Loopuyt

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Talia Bachir-Loopuyt, « Ethnomusicologies, anthropologies de la musique et de la danse : quelques voix de Londres », Lectures anthropologiques [En ligne], 11 | 2024, mis en ligne le 15 décembre 2024, consulté le 07 février 2025. URL : https://www.lecturesanthropologiques.fr/1197

Un ouvrage collectif édité en Grande-Bretagne (Music, Dance, Anthropology, 2021) est ici pris comme point de départ pour une réflexion sur la situation des études anthropologiques sur la musique et la danse. Partant du constat qu’il est devenu impossible de tracer une claire délimitation entre des approches « anthropologiques » et « ethnomusicologiques » (ou « ethnochoréologiques »), cet article commente les contributions rassemblées dans cet ouvrage à l’aune d’un état plus large des recherches actuelles dans ce domaine. Il met en lumière l’impact de dynamiques d’institutionnalisation qui ont fait prévaloir l’étude de terrains lointains (distants des traditions classiques occidentales), l’éclatement des approches et la forte malléabilité des références à « l’anthropologie ». Plutôt que de prétendre unifier ce champ sur la base d’une théorie générale, l’auteure défend la nécessité d’une ouverture disciplinaire, permettant l’élaboration d’approches croisées et la réflexion sur des problématiques transversales. La contribution de Martin Stokes est examinée de plus près, en tant qu’elle propose une telle démarche de connaissance unifiée tenant compte des apports de l’ethnomusicologie et d’un vaste ensemble de travaux sur la musique, le politique, la citoyenneté.

A collective book published in Great Britain (Music, Dance, Anthropology, 2021) serves as a starting point for a reflection on the current state of anthropological studies in music and dance. Observing that a clear demarcation between ‘anthropological’ and ‘ethnomusicological’ (or ‘ethnochoreological’) approaches has become untenable, this article reviews the book’s contributions by examining them in light of the broader landscape of contemporary research. It highlights the lasting impact of ethnomusicology’s institutionalization as a discipline, which has traditionally prioritized the study of distant fields (removed from classical Western traditions). It also highlights fragmented approaches, and a highly flexible use of ‘anthropology’ as a reference. Rather than attempting to unify this field through a general theory, the author advocates for embracing interdisciplinarity, enabling varied perspectives and engagement with cross-cutting issues. Special attention is given to Martin Stokes' contribution, which offers a rare unified approach that incorporates insights from ethnomusicology along with broader reflections on music, politics, and citizenship.

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Une première version de ce texte a été discutée au sein d’un groupe de lecture « Anthropologie et musique » que j’ai animé en 2022-2023 à la faveur d’une délégation CNRS à Passages-ARI. Je remercie les membres de ce groupe, les évaluateurs de la revue ainsi que Martin Stokes pour leurs retours qui m’ont aidée à préciser le propos.

Compte rendu de Stephen Cottrell (dir.), Music, Dance, Anthropology. London, Royal Anthropological Institute/Sean Kingston Publishing, 2021, 269 p.

Près de 70 ans après l’émergence du vocable « ethnomusicologie » et après qu’une série d’ouvrages ont proposé de fonder les bases de ce champ d’étude1, l’heure des fondations et théories générales semble aujourd’hui révolue. L’institutionnalisation progressive d’organes dédiés à l’ethnomusicologie, sans résoudre la question des frontières de la discipline, a rendu les distinctions entre « ethnomusicologie » et « anthropologie de la musique » fluctuantes2. Il en va de même pour la distinction entre l’ethnomusicologie et d’autres champs de la musicologie, comme l’histoire de la musique ou les Popular Music Studies. Chaque terme a été chargé d’une multitude de sens, s’ajoutant à la pluralité des vocables employés par des prédécesseurs érigés post mortem en fondateurs de « l’ethnomusicologie », mais qui, de leur temps, hésitaient entre plusieurs termes (musicologie comparée, folklore, ethnologie musicale, ethnomusicologie, anthropologie de la musique, etc.). A mesure que se sont multipliés les ouvrages rassemblant des perspectives sur des terrains et enjeux toujours plus nombreux, évoluant au gré de l’actualité scientifique, la part des ouvrages généraux dans les publications a décru. L’anthropologie de la musique vaut-elle encore une heure de peine puisque le champ de ce qu’on appelle « musique » est si éclectique et que le projet même d’une anthropologie générale semble aujourd’hui remis en question3 ?

Sans soulever directement cette question, l’ouvrage collectif Music, Dance, Anthropology, édité par S. Cottrell offre du moins l’occasion de la poser, en incluant dans le spectre de la réflexion les recherches sur les pratiques dansées4. L’ouvrage se présente comme un inventaire d’approches anthropologiques de la musique et de la danse présentes dans le paysage scientifique britannique, notamment londonien. C’est à ce titre que je l’examinerai ici : comme une forme d’état des lieux qui permet de donner, d’une part, une idée d’un ensemble de démarches de connaissance et, d’autre part, de formuler quelques observations sur le fait d’institution que constituent les disciplines académiques5. Je prends cet ouvrage comme un point de départ pour réfléchir à la situation contemporaine et à des processus plus anciens qui ont établi des objets, questionnements, modes d’enquête dans le périmètre de l’« ethnomusicologie » et de l’« anthropologie »6. Je fais aussi l’hypothèse qu’une lecture à distance d’un tel ouvrage, renseignée par la comparaison avec d’autres contextes, peut permettre de mettre au jour certaines singularités du contexte académique britannique et de susciter, en miroir, un questionnement sur la situation française.

Après avoir resitué les circonstances dans lesquelles a émergé cet ouvrage et brossé un panorama des thématiques abordées dans les différents chapitres, je m’interrogerai sur ce qu’il révèle de la situation plus générale des études ethnomusicologiques et anthropologiques sur la musique et la danse. Je reviendrai pour finir sur l’apport d’une contribution, celle de Martin Stokes qui propose, à défaut d’une théorie générale de la musique, des pistes pour penser une problématique transversale, celle du lien entre musique et engagements civiques.

« Occasional Papers RAI »

Tâchons d’abord de mieux situer le type de publications dont il s’agit. L’ouvrage ne relève pas de la catégorie, aujourd’hui dominante, d’opus collectifs portant sur une thématique circonscrite que les auteurs déclinent à partir de leurs terrains respectifs7. Il ne relève pas non plus de la catégorie des « manuels » ou des recueils constitués à des fins pédagogiques, rassemblant les contributions de figures renommées sur les principaux courants ou enjeux d’une discipline8. Non : ici, l’inventaire est mené à une échelle locale et l’ouvrage se présente modestement comme le fruit de circonstances explicitées par le titre de la collection : « Occasional papers RAI ». Les divers auteurs ont en commun d’avoir été sollicités pour une conférence par le comité d’ethnomusicologie et d’ethnochoréologie du Royal Anthropological Institute (RAI) qui fut reconstitué en 2013 à l’initiative de John Baily9. Ces auteurs sont (ou étaient) pour beaucoup rattachés à des institutions londoniennes (Goldsmiths, SOAS, Roehampton, Kings College, University College London). Ils sont de différents statuts et générations : les noms de chercheurs aujourd’hui très en vue comme celui de Martin Stokes (Professeur titulaire de la chaire King Edward au King’s College, qui fut choisi pour inaugurer en 2015 le cycle de conférences John Blacking) côtoient ceux de jeunes chercheurs, de professeurs émérites ou de personnalités récemment disparues (Andrée Grau, Peter Cooke). Leurs contributions mettent en avant, selon les cas, un propos historique, théorique, méthodologique, ethnographique. En somme, l’ouvrage se présente comme un inventaire relativement éclectique constitué à partir d’un vivier local, essentiellement londonien, de chercheurs et chercheuses de différentes générations et institutions.

Un bref aperçu cursif des contenus — avant de revenir plus en profondeur sur certaines contributions — permettra de se faire une idée de cet éclectisme. La brève introduction (p. 1-8), rédigée par Stephen Cottrell, esquisse les contenus des diverses contributions et le contexte dans lequel a émergé l’ouvrage. À la suite de la refondation en 2013 d’un comité d’ethnomusicologie et ethnochoréologie par John Baily, des conférences eurent lieu entre 2015 et 2017. L’idée émergea de les rassembler en un volume dont la publication prit quelques années. L’introduction reprend les objectifs de l’ouvrage tels qu’ils sont aussi formulés sur la quatrième de couverture : montrer l’essor renouvelé de l’anthropologie de la musique et la danse à travers des contributions abordant des thématiques variées et des études de cas sur « diverses régions du monde (Afrique centrale, Irlande, Grèce, Ouganda, Asie Centrale) » et montrer comment ces travaux peuvent éclairer « des concepts centraux de l’anthropologie tels que les savoirs incorporés, le rôle de la citoyenneté, les pratiques rituelles, la construction d’identités individuelles et collectives ».

Les contributions sont réparties en deux grandes sections. Dans la première (« Histoires, théories, concepts »), le chapitre rédigé par John Baily (p. 11-27) revient sur la création d’un comité dédié à l’ethnomusicologie au sein du Royal Anthropological Institute en 1953 et son évolution jusque dans les années 1970. Ce chapitre n’est pas issu d’une conférence, mais est une contribution rédigée pour le volume collectif, prolongeant utilement l’introduction10. Baily s’appuie sur un examen minutieux des archives de réunions, séminaires et colloques. Il met au jour les objectifs et attentes de ce comité destiné à promouvoir les études sur la musique au sein de l’anthropologie, les incertitudes et ambivalences de cette reconnaissance. Il confronte aussi cette histoire institutionnelle à la trajectoire singulière d’un John Blacking et à ce qui se passera dans le cadre d’organisations plus tard dévolues à l’étude de la folk music puis à « l’ethnomusicologie ».

Le second chapitre (Andrée Grau : p. 29-54) compare les trajectoires de trois femmes — Beryl de Zoete, Katherine Dunham et Zora Neale Hurston — qui furent actives dans la première moitié du XXe siècle comme praticiennes et chercheuses spécialistes de la danse, et met notamment en lumière l’impact de leur expérience dans deux îles, Bali et Haïti, qui suscitaient alors un intérêt croissant des anthropologues et des élites européennes. Le troisième chapitre (Martin Stokes : p. 55-69), interroge l’héritage de John Blacking dans le contexte des débats contemporains sur la musique et le « post-humanisme ». À la célèbre question posée par Blacking « How musical is man ? » (Blacking 1973), Stokes propose de substituer la suivante : « How musical is the citizen ? » et il précise progressivement ce questionnement en s’appuyant sur le commentaire de travaux récents sur la musique dans le contexte de « crises », qu’il examine à l’aune de débats plus larges11. Les textes qui suivent portent respectivement sur la place et le rôle de la musique dans l’identité culturelle BaYaka en Afrique centrale (Jerome Lewis : p. 71-93), les contributions de différentes disciplines aux recherches sur la danse, le mouvement et les savoirs incorporés (Ann R. David : p. 95-120), les possibilités qu’offre le film comme outil et moteur de la réflexion ethnomusicologique et les déplacements que ce support induit sur le plan de l’écriture et la conception d’« auteur » (Barley Norton : p. 121-143).

La seconde section, intitulée « Perspectives régionales », s’ouvre par une contribution sur les « paysages sonores » du renouveau islamique chez les Ouïghours en Asie centrale et en Chine (Rachel Harris : p. 147-166). Elle se poursuit par un chapitre sur la conception de la personnalité et la performativité de pratiques incorporées (danse, chant, jeu instrumental) chez les musiciens et chamades nomades de Sibérie du Sud (Carole Pegg : p. 167-193). Les deux contributions suivantes traitent de l’essor de la pratique des danses traditionnelles : la danse « sean nós » en Irlande, les valeurs et représentations qui y sont associées et les divergences pouvant émerger entre les cercles intimes de « la communauté » et les institutions délivrant un enseignement formalisé de cette danse (Catherine Foley : p. 195-212), l’essor des pratiques de danse traditionnelle en Grèce dans le contexte de la crise économique et de politiques d’austérité (Maria Koutsouba : p. 213-233). Enfin, le dernier texte, de Peter Cooke, croise une réflexion historique et autobiographique, teintée de nostalgie, sur l’évolution du statut des pratiques musicales issues de la cour royale du Buganda depuis la création de l’État ougandais (p. 235-258).

Dans l’ensemble, c’est une impression d’éclectisme qui émerge à la lecture des différentes contributions : sur le plan des terrains et thématiques traitées, des types de textes, mais aussi des arrière-plans théoriques et des démarches d’enquête. Ce n’est pas la même « anthropologie » qui est convoquée d’un chapitre à l’autre. Quel sens peut-il alors y avoir à réunir ces contributions dans un même ouvrage ?

L’anthropologie dans tous ses états

Cet éclectisme épistémologique et méthodologique ressort notamment lorsque l’on se penche sur les bibliographies. En complément de la littérature spécialisée sur les répertoires et aires culturelles étudiés, présente dans toutes les contributions ethnographiques, les auteurs s’appuient aussi, dans des proportions variables, sur des ouvrages généraux en anthropologie de la musique et de la danse (la référence la plus largement partagée étant celle à John Blacking qui apparaît dans 8 bibliographies sur 11, y compris dans celles sur la danse), l’anthropologie cognitive (chez Jerome Lewis, Ann R. David), l’anthropologie politique (chez Martin Stokes), l’anthropologie religieuse (chez Rachel Harris, Carole Pegg), l’anthropologie visuelle (chez Barley Norton). Certains auteurs mobilisent une bibliographie qui dépasse largement le cadre de l’anthropologie. C’est le cas d’Ann R. David, qui propose un article ethnographique croisant des références à des travaux sur les Ouïghours et l’Asie Centrale, les « paysages sonores » et les mondes de l’islam, venant de différents champs disciplinaires (histoire, ethnomusicologie, anthropologie, Sound Studies). C’est aussi cette perspective de décloisonnement qui prévaut, dans une mesure plus importante encore, dans la contribution de Martin Stokes qui discute les enjeux liés à la musique et la citoyenneté en mobilisant des travaux venant de l’ethnomusicologie et des Popular Music Studies, de l’anthropologie, des sciences politiques, de la sociologie et des études littéraires.

En somme, les différents chapitres témoignent d’affinités avec divers secteurs des études anthropologiques, mais aussi de différentes manières de bâtir des bibliographies et de forger une connaissance, en tenant plus ou moins compte des apports d’autres disciplines. D’une contribution à l’autre, l’on voit parfois resurgir çà et là certaines formulations « totémiques »12 (comme l’idée que la musique serait un « fait social total » ou qu’elle « reflèterait » le social ou le politique) et certaines figures d’autorité (comme celle de Blacking). Mais ces références partagées sont malléables, elles font l’objet d’appropriations multiples, en partie contradictoires. Elles ne suffisent pas à garantir un horizon unifié de connaissance.

L’éclectisme ressort, en second lieu, dans les modes d’administration de la preuve. Certains travaux visent une montée en généralité à partir d’études de « cas », d’autres cherchent plutôt à étayer des théories en s’appuyant sur des « exemples ». Les démarches d’enquête, les modes de construction et mobilisation des « données » du terrain apparaissent aussi comme fort variables. Un chapitre tel que celui de Jerome Lewis, ambitieux et stimulant dans son questionnement sur la musique (« Why Music Matters ? »), pourra par exemple surprendre des anthropologues habitués à d’autres pratiques de l’enquête. Lewis se penche sur l’exemple des pratiques musicales polyphoniques des Pygmées BaYaka en Afrique centrale pour réexaminer des thèses, venant de la psycholinguistique, qui accordaient une place mineure à la musique dans l’histoire de l’évolution de l’espèce humaine. Pour montrer la force structurante de la musique dans les communautés pygmées et défendre l’hypothèse d’une résilience plus forte que celle du langage, il s’appuie sur une synthèse de données diverses (organologie, archéologie, observation de performances musicales) tirées de travaux d’ethnomusicologues africanistes, notamment français (Simha Arom, Susanne Fürniss, Sylvie Le Bomin). Une telle synthèse rend peu discernables les manières dont ont été prélevées ces données, les contextes sociaux et historiques dans lesquels elles s’insèrent, les débats qu’elles ont pu éventuellement susciter. Cette approche tranche avec les grandes tendances de l’anthropologie contemporaine, qui ont tendu à reléguer les travaux sur l’évolution de l’espèce humaine à une marge voire un enjeu vu comme « dépassé ». Et pourtant, Jerome Lewis est paradoxalement un des seuls auteurs de l’ouvrage enseignant dans un département d’anthropologie. Si sa contribution ne convaincra pas tous les anthropologues ou ethnomusicologues, elle a du moins le mérite de rappeler l’importance de la réflexion sur la musique dans des débats sur l’évolution de l’espèce humaine, menés au carrefour de plusieurs champs disciplinaires (anthropologie, linguistique, génétique, paléontologie, sciences cognitives) et avec des démarches d’investigation différentes13. Avec d’autres contributions de cet l’ouvrage, elle fait aussi apparaître combien, en ethnomusicologie, les questionnements restent en partie prédéterminés par les terrains et types de population étudiés : l’évolution pour les Pygmées, le chamanisme pour la Sibérie, etc.

Prises ensemble, les diverses contributions montrent du moins à quel point l’étude de la musique et de la danse peut ouvrir sur différentes problématiques de l’anthropologie, classiques (les techniques du corps, religions et rituels, organisation économique et politique, traditions et création) et nouvelles (les environnements sonores, la musique en temps de crise). Sur une même thématique, elles manifestent une variété d’approches possibles. Pour ne prendre qu’un de ces thèmes, celui du corps : le lecteur pourra trouver matière à réflexion dans les contributions d’Andrée Grau (qui revient sur le rôle joué par trois femmes dans l’émergence de l’anthropologie de la danse et la problématique de la reconnaissance de leur pratique comme savoir), Ann R. David (qui propose une revue bibliographique des notions utilisées dans différents champs disciplinaires pour rendre compte des savoirs incorporés), Carole Pegg (sur la performativité des corps dans des rituels chamaniques intégrant de manière indissociable le chant, le mouvement, le jeu), Rachel Harris (sur le double versant de l’incorporation de la foi islamique dans des groupes ouïghours et de la domestication des corps dans des performances orchestrées par les autorités chinoises), Catherine E. Foley (qui aborde le formalisme croissant dans l’enseignement de la danse sean nos et ce qu’il implique en matière de contrôle du corps), Maria Koutsouba (qui resitue l’engouement croissant pour les danses traditionnelles grecques dans le contexte de mouvements de contestation). En suivant le fil du corps, un lecteur pourrait ainsi idéalement entrevoir le bénéfice qu’il y a à croiser différents outils et échelles d’analyses (au sens de Werner/Zimmermann 2003) pour l’étude des processus d’incorporation.

Mais d’un autre côté, le volume en son ensemble manifeste aussi un état de fait plus général qui est celui de l’éclatement des perspectives dans le champ de l’ethnomusicologie, comme de l’anthropologie de la danse et plus largement, de l’anthropologie (Lenclud 2006). Un éclatement des perspectives théoriques : les recherches sur la musique et la danse font apparaître de manière concentrée, non seulement une pluralité d’approches en anthropologie, mais aussi des tensions entre les paradigmes des sciences humaines et des sciences naturelles, entre les approches venant des sciences sociales et celles venant des études sur les arts. Un éclatement institutionnel : ces recherches sont aujourd’hui implantées dans des lieux et réseaux multiples, fonctionnant comme des microcosmes qui n’ont pas souvent l’occasion de se rencontrer. Et c’est bien là qu’apparaît l’enjeu des conférences organisées par le comité d’ethnomusicologie et ethnochoréologie refondé par John Baily en 2013 au Royal Anthropological Institute. Outre le fait de rendre potentiellement visibles les recherches sur la musique et la danse pour des anthropologues, un tel comité permet aussi de mettre en relation des chercheurs et chercheuses qui, quoique voisins, n’ont peut-être pas si souvent l’occasion de se rencontrer et d’échanger entre eux. Un tel inventaire n’a pas vocation à atteindre une hypothétique exhaustivité ou représentativité. Sa vertu se trouve dans les rapprochements et échanges qu’il permet de nourrir.

Tentons, pour mieux saisir cet enjeu, une expérience de pensée et imaginons un cycle de conférences qui serait organisé en France, sous l’égide d’une association d’anthropologie, pour présenter diverses approches de la musique et la danse. Un tel cycle devrait considérer la pluralité des pratiques coexistant localement dans l’espace parisien (si l’on file la comparaison avec cette série centrée sur l’espace londonien14) : des laboratoires CNRS, des universités (départements de musicologie, d’anthropologie, d’études en danse), des conservatoires dans lesquels on enseigne l’ethnomusicologie. Elle pourrait aussi — ce que ne fait pas cet ouvrage — porter le regard au-delà de l’espace académique, sur des démarches d’ethnomusicologie appliquée et de recherche-action, de réalisation documentaire, de recherche-création s’appuyant sur les outils de l’anthropologie. On voit d’emblée poindre quelques difficultés. Un tel cycle ne pourrait jamais atteindre l’exhaustivité. Que dire des critiques bien légitimes qu’il ne manquerait pas de faire surgir sur le parisianocentrisme du monde académique ? Sur l’inaudibilité des perspectives venant d’autres espaces académiques francophones (le Canada ou l’Algérie par exemple) ? Se centrer sur la France ne fait-il pas aussi nécessairement courir le risque redouté du « nationalisme méthodologique » ?

Malgré ces réserves, on peut imaginer qu’un tel cycle pourrait avoir une certaine utilité : celle de faire entendre, dans un espace plus neutre que celui du séminaire de telle ou telle institution, différentes voix, d’accroître chez les uns et les autres la conscience que les recherches sur la musique et danse peuvent être pratiquées différemment ailleurs. Un tel cycle, assumant le pluralisme des pratiques actuelles, pourrait aider à déplacer le curseur de la question des frontières disciplinaires (« ceci est ou n’est pas de l’ethnomusicologie » ou de « l’anthropologie ») vers celles des démarches et procédures de validation d’une connaissance (« comment se construit une connaissance sur la musique ou la danse ? ») ? Et à ce titre, il pourrait, peut-être, faire du bien à ce petit monde particulièrement divisé.

Revenons à Londres. Les perspectives proposées par l’ouvrage n’ont pas vocation à l’exhaustivité ni à une quelconque représentativité. Elles constituent un premier inventaire, appelé à se poursuivre au fil des propositions d’un comité dont les membres ont été et vont encore être renouvelés. Comment situer, néanmoins, cet état des lieux dans le contexte plus large des recherches sur la musique et la danse, et, plus particulièrement au regard des enjeux aujourd’hui pointés comme « actuels », dans le champ de l’ethnomusicologie ou de l’anthropologie de la danse ?

Terrains classiques, nouveaux enjeux : de « l’actualité » en anthropologie 

Un lecteur au fait des parutions récentes en ethnomusicologie et anthropologie de la danse pourrait en effet trouver que cette publication met surtout en avant des objets somme toute assez « classiques ». Outre les chapitres axés sur des figures historiques, les contributions ethnographiques portent sur des terrains lointains, très établis au sein de ces disciplines (Asie centrale, Sibérie, Afrique Centrale, Ouganda) et pour les deux contributions sur l’Europe (Irlande, Grèce) sur des pratiques de musique ou danse « traditionnelles ». Il n’est pas question de terrains proches comme la ville de Londres, de l’ethnomusicologie de la musique classique de tradition occidentale (Nooshin 2015), des discussions autour d’une « histoire globale de la musique » (Olley 2016, Strohm 2018), pas plus que du rapprochement avec les Popular Music Studies (Stokes 2019). De même, pour ce qui est des études en danse (dont l’auteure de cet article est moins familière), des pans importants de la production scientifique actuelle britannique ne sont pas représentés15. Enfin et plus largement, des thèmes au cœur des discussions menées en sciences sociales ces dernières années (la globalisation, les approches postcoloniales, les migrations, la crise climatique, les recherches participatives, les environnements sonores, etc.), s’ils affleurent dans certaines contributions, ne sont pas au premier plan.

À rebours d’une rhétorique académique mettant aujourd’hui en avant ces « nouveaux enjeux », un tel ouvrage fait plutôt apparaître la permanence de terrains et problématiques classiques. Il porte la trace des logiques qui ont prévalu dans l’institutionnalisation de l’ethnomusicologie tout comme de l’anthropologie, qui a longtemps mis en avant l’étude de terrains lointains et de répertoires autres que ceux issus de la tradition classique occidentale.

La contribution de John Baily permet de mieux comprendre la façon dont cette logique a pu s’établir dans le contexte plus singulier du RAI. Le comité d’ethnomusicologie qui fut créé une première fois en 1953 regroupait des personnalités éclectiques (des anthropologues, un musicien et compositeur, des missionnaires musiciens, un spécialiste d’organologie) partageant un intérêt pour des formes de « musique » issues de « sociétés tribales ». Dans les discussions dominait alors une préoccupation déjà ancienne pour la collecte et l’exploration de nouveaux territoires sonores. Il s’agissait de prélever et enregistrer des « morceaux de musique » réputés représentatifs de ces sociétés, de les faire entendre et les commenter. Dans les années 1960, des réunions bi-mensuelles furent organisées à cette fin : « to hear and discuss music from as many areas as possible ». Si les discussions portaient à cette époque aussi sur les méthodes et enjeux d’une anthropologie de la musique (tels que définis par l’anthropologue américain Alan Merriam, à qui le RAI consacra un séminaire hebdomadaire), cet enjeu de collecte et la fascination pour des terrains exotiques demeurent structurants jusque dans les années 1980.

Cette seconde période est, ainsi que l’écrit Baily, paradoxalement à la fois celle d’une « croissance phénoménale de l’ethnomusicologie » et d’un essoufflement des discussions menées au sein du comité du RAI. De nombreux postes sont ouverts, pour la plupart dans des départements de musicologie et des établissements d’enseignement de la musique, ce qui contribue à déplacer le lieu des discussions dans d’autres espaces que ceux du RAI. De nouvelles organisations consacrent l’autonomie des études sur la « folk music » (Folk Music Council), sur les « musiques traditionnelles » (à l’ICTM International Council for Traditional Music) puis en « ethnomusicologie » (avec la section anglaise de l’ICTM, qui édite le British Journal of Ethnomusicology).

Ainsi que le souligne Baily, la trajectoire d’un John Blacking s’inscrit plutôt à contre-courant de cette dynamique. Doté d’une double formation en anthropologie sociale et en musique (pianiste, compositeur, chef de chœur), John Blacking avait, selon John Baily, le profil que recherchait le RAI dans les années 1950-60. Il intègre tôt le comité d’ethnomusicologie, mais séjourne ensuite en Afrique du Sud, entre 1954 et 1969, où ses travaux prennent une direction assez distincte et singulière, si bien qu’il est finalement peu présent dans les discussions menées à cette époque au sein du RAI. De retour au Royaume-Uni, il devient en 1972 Professeur au département d’anthropologie de Belfast. Il s’investit alors dans le développement d’un pôle de recherches et dans la formulation d’une approche qui se distingue par son regard large (englobant des pratiques proches et lointaines, « savantes » et « populaires », cf. Blacking 1973) et qui prend ses distances à l’égard des enjeux de collecte et documentation prévalant alors dans les organismes institutionnels.

Ce que fait ainsi apparaître John Baily dans cette contribution historique, c’est la coïncidence sur une même période de dynamiques parallèles, pour une part divergentes. Baily fait jouer, si l’on peut dire, les vertus d’une approche multi-site, croisant différentes échelles d’analyse. A rebours d’un récit linéaire qui se contenterait de pointer l’émergence des organes institutionnels consacrant l’avènement d’une « discipline », il considère plusieurs lieux, se penche sur des processus d’institutionnalisation avec leurs lots d’incertitudes (du comité d’ethnomusicologie de la RAI fondé dans les années 1950 aux paradoxes persistants qui accompagnent la constitution d’organes autonomes dédiés à l’ethnomusicologie dans les années 1980). Il se penche aussi sur une trajectoire singulière, celle de John Blacking, non pas tant pour célébrer un héros fondateur, mais plutôt pour montrer la façon dont elle croise (sans s’y réduire) ces dynamiques institutionnelles. Là encore, il y aurait des leçons à tirer de cette approche pour renouveler l’histoire de la discipline en France ou dans d’autres pays.

La toute dernière section du chapitre de Baily porte sur la période contemporaine et la recréation (à son initiative) d’un comité en 2013, désormais dédié à « l’ethnomusicologie et l’ethnochoréologie »16. Un des enjeux était, selon lui, de réaffirmer la « respectabilité » des recherches sur la musique et la danse dans le champ de l’anthropologie. Or, cet enjeu apparait selon Baily peut-être moins évident encore que dans les années 1950, en dépit même du développement important des travaux sur la musique et la danse :

« Il semble que si, dans les années 1950, la nouvelle discipline de l’ethnomusicologie était encouragée et favorisée par les anthropologues, elle n’est aujourd’hui pas reconnue comme significative dans ce domaine et nous en revenons peut-être à la déclaration que formulait Clausen sur "la légère opprobre qui plane sur la respectabilité de la discipline" » (p. 26. Je traduis).

Outre cet enjeu de faire connaître et reconnaître l’intérêt des travaux sur la musique et la danse, on comprend qu’il s’agit aussi de reconnecter entre elles des pratiques de recherche qui sont implantées dans des lieux dispersés et pour la plupart des départements spécialisés dans l’étude de la musique ou de la danse. Or, dans ces départements, « l’ethnomusicologie » (i.e. « l’anthropologie de la musique ») ou « l’ethnochoréologie » (i.e. ou anthropologie de la danse) s’est établie, du fait d’un effet d’institution, comme l’étude de pratiques autres que celles enseignées par les spécialistes déjà en place, travaillant sur l’Europe et la tradition savante. C’est ce qui peut contribuer à expliquer la prééminence de terrains lointains, somme toutes assez « classiques » dans cet ouvrage.

Cette prééminence de terrains « classiques » n’équivaut pas, toutefois, à une absence d’innovation. Certaines contributions montrent combien peut être fructueuse une réflexion renouvelée sur l’histoire de la discipline, sur les méthodes et médiations du savoir, des « terrains » anciens revisités sous un angle nouveau. Trois contributions nous semblent ainsi innovantes à ces différents titres.

Andrée Grau, lorsqu’elle revient sur les trajectoires de Beryl de Zoete, Katherine Dunham, Zora Neale Hurston, fait apparaître leurs mobilités et circulations entre différents pays (Royaume-Uni, Bali, Haïti) et entre différents milieux et sphères d’activité (la danse, y compris de ballet, la critique, la recherche académique). Elle montre que les scènes artistiques ont été en avance sur des milieux de l’anthropologie, peu enclins à accepter des femmes et, moins encore peut-être, la pratique de la danse comme une forme de savoir. L’étude de ces trajectoires éclaire le débat aujourd’hui redevenu actuel sur les collaborations entre arts et savoirs anthropologiques. Si les réflexions émanant de praticien-ne-s pour l’anthropologie de la danse sont aujourd’hui davantage reconnues, les incertitudes évoquées par Andrée Grau sur le sujet n’ont pas complètement disparu. Aussi, comme le souligne l’auteure, la pratique artistique n’est pas considérée comme suffisante. Elle requiert toujours en complément diverses formes de communication langagière pour faire apparaître l’apport heuristique de ces pratiques, que ce soit dans la sphère académique ou dans d’autres espaces (critique artistique, création).

Barley Norton brosse de son côté un panorama des usages du film en ethnomusicologie. Il pointe la prédominance d’un paradigme qu’il appelle « documentaire » : les chercheurs utilisent surtout le film pour documenter les pratiques qu’ils étudient et illustrer un propos écrit. S’appuyant sur son expérience de réalisation d’un film sur un collectif de musique expérimentale vietnamienne, il plaide pour une vision plus large des possibilités créatives offertes par le film et la vidéo. Selon lui, de nouveaux « arguments et théories ethnomusicologiques peuvent être développés par le « grain du film » ». Cette perspective remet en question l’hégémonie du savoir textuel. Elle l’amène à revisiter des réflexions sur l’écriture de textes ethnographiques et le statut des « auteurs » (Geertz, Hastrup). Si elle rejoint le débat aujourd’hui formulé, en France, autour des « nouvelles écritures », elle rappelle aussi des réflexions plus anciennement développées dans le champ du cinéma documentaire — qui comme on le sait, s’est développé dans, mais aussi bien au-delà des cercles académiques (et parfois contre eux). Et le propos de Norton gagnerait de ce fait aussi à s’élargir à une réflexion plus large sur le « documentaire » non au sens d’un document reflétant le terrain, mais d’un mode de connaissance opérant par la construction d’un « regard » sur le monde, rendant souvent floue la distinction entre documentation et création.

Les contributions d’Andrée Grau et de Barley Norton ont ceci en commun qu’elles mettent en lumière la pluralité des activités considérées comme valables dans le champ de l’ethnomusicologie et l’anthropologie de la danse. Cette liste pourrait encore être élargie : outre la pratique musicale et dansée, la réalisation de films, on pourrait aussi évoquer les activités relevant de la médiation culturelle (organiser des concerts, festivals, rencontres…) et le champ foisonnant de « l’ethnomusicologie appliquée », peu représenté dans cet ouvrage, mais qui est au cœur des débats actuels en ethnomusicologie17.

Une troisième contribution, qui montre quant à elle le caractère fructueux d’un regard actualisé sur un terrain classique, est celle de Rachel Harris, ethnomusicologue spécialiste des musiques et pratiques culturelles ouïghoures qu’elle étudie depuis plusieurs années dans un territoire transfrontalier en Asie centrale — Ouzbékistan, Kirghizstan, Kazakhstan, Chine. Ici la dimension innovante vient à la fois de la prise en compte d’une transformation marquante des dernières décennies (un renouveau islamique au sein des communautés ouïghoures) et d’un changement de perspective décrit comme un « tournant vers les paysages sonores ». De manière très convaincante, Harris montre l’intérêt d’envisager le phénomène du renouveau islamique par une approche qui intègre un ensemble large de pratiques sonores et d’écoute reliés à l’expression et l’incorporation de la foi et l’idéologie islamique » (p. 149). Le chapitre décrit une très grande variété de situations : l’interruption d’un repas par un imam entonnant un appel à la prière dans un restaurant, des cérémonies de funérailles ou de mariage, des pratiques de dhikr18 entre femmes, des récits d’expériences imaginaires de voix entendues en rêve, des manifestations de rue, des performances de masse orchestrées par les Bureaux culturels de l’État chinois avec des imams et musulmans ouïghours. L’auteure fait aussi apparaître une grande variété de supports et médias de diffusion (internet, médias sociaux, clips vidéo) concourant à la diffusion de la foi islamique. Enfin, elle aborde cette question depuis une variété de points de vue : du côté des institutions et médias chinois tout comme au sein des groupes ouïghours, dont elle montre qu’ils sont traversés par plusieurs débats et controverses. Peut-on avoir de la musique pendant les mariages ? Doit-on prier à voix haute devant les tombes de personnes récemment disparues ? La récitation du Coran doit-elle ressembler à un chant ?

Cette contribution montre, de manière particulièrement convaincante, l’intérêt pour l’ethnomusicologie d’un « tournant vers les paysages sonores » (p. 147). Elle fait écho à une tendance actuelle du débat ethnomusicologique contemporain, dont la pertinence ressort d’autant mieux ici que Harris s’appuie sur une connaissance approfondie du terrain et de l’histoire ouïghours, aussi bien que des formes et répertoires et de leurs spécificités du point de vue sonore. Cette connaissance lui permet d’apprécier d’autant mieux l’évolution du spectre de pratiques audibles (ou inaudibles) dans l’espace public. Ici, le son et les « paysages » sonores ne sont jamais dissociés de l’écoute et des conditions sociales et institutionnelles qui les font advenir. On perçoit aussi à quel point une telle démarche peut se prolonger sur d’autres terrains, dans des travaux interrogeant la visibilité des pratiques islamiques dans les sociétés occidentales (Van Nieuwerk et al. 2016) par exemple.

Ces contributions amènent donc à nuancer le verdict d’une forme de conservatisme. Elles rappellent combien les innovations se nourrissent de l’approfondissement d’enquêtes et de problématiques anciennes. Contre l’injonction forte à la spécialisation, elles montrent aussi l’intérêt d’adopter un regard large sur différentes thématiques et approches, pour mieux appréhender les enjeux et dimensions complexes des pratiques musicales et dansées. De ce point de vue, il nous semble pour finir nécessaire de mettre en exergue la contribution de Martin Stokes, qui ressort par sa hauteur de vue et sa capacité à proposer une réflexion transversale au croisement des études sur la musique et les sciences humaines.

Penser la musique dans un monde en crise : la proposition de Martin Stokes

À première vue, la question soulevée dans ce chapitre semble étrange, ambiguë, difficilement traduisible : « How musical is the citizen ? ». Cette conférence qui fut prononcée par Martin Stokes le 10 novembre 2015 à Belfast cherche à resituer l’héritage de John Blacking dans le « contexte complexe et bruyant des débats actuels en musicologie, ethnomusicologie, popular music studies et sound studies » (p. 55). Plutôt qu’une relecture ou un hommage, elle s’annonce comme une « réactualisation », posée comme nécessaire au regard de plusieurs développements récents de la recherche : l’éco-musicologie, les courants post-humanistes, les approches postcoloniales et les travaux sur les publics empêchés, les théories de l’acteur-réseau, rendent aujourd’hui intenable la perspective universaliste et humaniste de Blacking. Pour autant, Martin Stokes ne relègue pas celui-ci aux oubliettes. Il s’interroge en ces termes : « que faut-il nuancer ou reformuler ? » Si la question n’est plus celle de « l’homme musicien », quelle serait-elle ?

Pour remplacer le terme « humain », plusieurs autres termes sont successivement soumis à l’examen : faudrait-il envisager désormais la musique dans un contexte « post-humain » (« How musical is the Post-Human ») ? Sous l’angle du « travail » (« How musical is Labour ») ? Ou encore des réflexions sur la subalternité (« How musical is the Subaltern ») ? Pour chacun de ces termes, Stokes pèse les potentialités, les limites. Il s’arrête, finalement, sur celui de « citoyen », pour proposer, non pas une seule question ou une théorie clé en main, mais un parcours de lectures et de réflexion permettant de déployer un ensemble de problèmes.

Plusieurs ouvrages sur la musique sont successivement discutés, révélateurs de trois grandes lignes de force du débat contemporain. Le premier est un ouvrage d’Ildeber Avelar et Christopher Dunn sur la musique et la citoyenneté au Brésil (Avelar et Dunn 2011), que Stokes prend comme un point de départ pour une réflexion sur les « politiques de l’identité », les stratégies de certains groupes pour se faire entendre dans l’espace public et de leurs effets paradoxaux. Ces usages de la musique promeuvent certaines différences et en ignorent d’autres, ils font valoir une conception libérale du sujet politique et de l’espace public dont les limites ont été démontrées par de travaux venant notamment de la philosophie politique. En second lieu, Stokes commente des travaux traitant de politiques musicales et de l’action d’organisations non gouvernementales œuvrant à la promotion de la musique classique occidentale : en particulier un ouvrage remarqué de Geoffroy Baker sur le projet El Sistema Venezuela (2014) et divers travaux sur des projets musicaux réunissant musiciens israéliens et palestiniens (Beckles-Willson 2015, El Ghadban et Strohm 2013). Il discute ici le décalage entre une vision idéale de la démocratie et des contextes singuliers traversés par des conflits et dynamiques contradictoires. En troisième lieu, Stokes revient sur un ouvrage qu’il a lui-même écrit sur trois figures de la chanson populaire turque, dans lequel il interroge le lien entre citoyenneté et affects. En s’appuyant sur des travaux venant des sciences politiques (Sara Ahmed), de l’anthropologie (Michael Herzfeld) et de la théorie littéraire (Lauren Berlant), son étude invite à penser « l’espace de la sensibilité » comme un « espace politique de connexion et d’activisme compassionnel » dans lesquels les musiciens peuvent apparaître comme des « figures qui revendiquent ou sont dotées d’un pouvoir spécial d’intervenir, représenter, commenter ce que les gens ressentent ou ce qu’ils pourraient être amenés à ressentir » (p. 62).

Pour finir, Stokes se penche sur des initiatives d’ethnomusicologues engagés dans des projets visant des réparations à des formes d’injustice sociale, dont il propose une analyse à la fois compréhensive et distanciée. Il mentionne notamment deux exemples : d’une part une initiative de l’université Columbia de rapatrier et restituer des enregistrements des groupes Navajo, Hopi, Tsimhian et Inupiat, d’autre part les actions développées par Ed Emery dans la « jungle de Calais ». De tels projets manifestent la permanence d’un « instinct civique » dont Stokes rappelle à juste titre qu’il était déjà présent de manière ancienne dans l’histoire de l’ethnomusicologie, et qui ressort aujourd’hui notamment dans le champ de ce que l’on appelle « l’ethnomusicologie appliquée » — formule qu’il estime pour sa part inadéquate. Ces initiatives, louables pour ce qui est de leurs intentions, doivent aussi, selon lui, être reconnectées aux travaux précédemment évoqués sur la citoyenneté et la musique comme outil de transformation sociale. C’est dans ces allers-retours entre l’engagement et les outils de distanciation qu’offrent les sciences humaines que l’auteur voit in fine la possibilité de perpétuer « l’énergie et l’esprit de Blacking » et la perspective d’une « ethnomusicologie humaniste appropriée aux temps divisés et compliqués dans lesquels nous vivons » (p. 69).

Le texte de Martin Stokes n’est pas simple et son apport n’apparaîtra peut-être pas d’emblée à tous les lecteurs. Il condense un ensemble de propos et réflexions que l’auteur a par la suite développés en plusieurs conférences19 et qui ont débouché sur la publication d’un livre (Stokes 2023). Il suppose la connaissance de beaucoup de travaux, notamment en ethnomusicologie — de l’ouvrage célèbre de Blacking aux réflexions récentes d’ethnomusicologues sur « la musique en temps de crise » (Rice 2014). Il suppose aussi une familiarité acquise avec d’autres champs d’étude (Popular Music Studies, Sound Studies, sciences politiques, théorie littéraire) et avec des débats complexes qui sont parfois ici esquissés en quelques lignes. Le texte pourra sembler à certains de prime abord trop théorique ou trop dense. Pour celles et ceux qui vont au-delà de ces impressions, le gain est précieux. Il tient à la largeur de vue de l’auteur, à son agilité à se mouvoir entre différents contextes (des cultures minoritaires aux orchestres classiques en passant par la chanson populaire), entre différentes problématiques, sans chercher à les réduire à une « même » question, mais en variant de manière toujours prudente les perspectives.

Cette lecture intrigue, questionne, donne à penser. Elle évoquera à chacun et chacune d’autres travaux qui auraient pu être convoqués (tant le champ d’investigation est large) autant que d’autres cas qu’il a pu observer ou étudier. C’est un texte que l’on peut lire, laisser reposer, puis auquel on peut revenir pour approfondir la compréhension de tel ou tel passage, puiser dans son impressionnante bibliographie quelques précieuses boussoles, s’imprégner d’une démarche à la fois ambitieuse et modeste.

Ce texte apporte aussi du même coup quelques éléments de réponse aux questions soulevées au début de cet article. Face au vertige que peuvent susciter aujourd’hui le flot de publications et l’éclatement croissant des perspectives en anthropologie de la musique et de la danse, il rappelle que le remède n’est pas à chercher dans une hypothétique théorie générale ou dans la consolidation des frontières d’une discipline. Il serait plutôt à trouver dans une posture qui se nourrit de croisements de perspectives (Werner/Zimmermann 2003) pour éclairer la continuité de mêmes problèmes au sein de savoirs prenant la musique ou la danse pour objet (Laborde 2012).

La musique et la danse suscitent des modes d’investigation contrastés. Mais elles peuvent aussi constituer des entrées permettant de déployer la gamme complexe des dimensions et motivations des activités humaines, du geste et du mouvement, de l’écoute et de l’expérience esthétique et de leurs ancrages dans des dispositifs institutionnels et des modes d’organisation sociale. Si elles demeurent des objets mineurs au sein de l’anthropologie, cette position peut aussi être une chance car elle permet d’autant mieux de questionner les automatismes disciplinaires, de s’ouvrir à une pluralité d’approches pour mieux apprécier et décrire, à partir de ces pratiques, la complexité des sociétés humaines. Le fait de les considérer parfois ensemble, comme c’est le cas dans cet ouvrage édité par S. Cottrell, permet de mettre au jour des enjeux communs, des connexions très concrètes entre ces pratiques, tout autant que des fonctionnements singuliers d’un point de vue cognitif, physiologique, social.

Toutes les contributions de cet ouvrage ne manifestent pas la même hauteur de vue que celles de Martin Stokes mais elles permettent du moins, réunies ensemble, de figurer un forum susceptible d’accueillir une certaine pluralité d’approches, ouvrant un espace de comparaison. Et l’on attend donc avec impatience que les conférences organisées par le comité d’ethnomusicologie et d’ethnochoréologie du RAI débouchent sur un second volume de « ces papiers occasionnels », qui permettra d’élargir encore le regard et de mettre peut-être plus encore en avant les connexions de ces études avec les grands enjeux contemporains de l’anthropologie et des sciences humaines.

1 Citons, entre autres noms qui ont marqué le débat anglophone des années 1950-1970, ceux de Jaap Kunst, Mantle Hood, Michael Kolinski, Alan Merriam

2 Sur les débats ayant opposé les tenants d’une « anthropologie de la musique » et d’une « ethnomusicologie », voir notamment Laborde 1997, p.12-13.

3 Je m’inspire ici d’une question formulée par Jean-Louis Fabiani à propos de la sociologie de la culture (2007), ainsi que des réflexions développées

4 Présentes dans quatre contributions sur onze, les études anthropologiques en danse ont connu un développement important en Grande Bretagne comme

5 Je m’inspire ici de la distinction entre « démarche de connaissance », « savoir » et « discipline » formulée par Jean-Louis Fabiani (2006).

6 Le présent article est marqué par la position que j’occupe dans cet espace académique, ancrée dans le champ de l’ethnomusicologie et des études sur

7 On peut citer comme exemple les nombreuses publications de la collection « Oxford Handbook » sur la musique (« Applied Ethnomusicology », « Children

8 Citons entre autres exemples (Stobart 2008) ou (Clayton et al. 2012)

9 Anthropologue et ethnomusicologue formé aux côtés de John Blacking à l’Université de Belfast et qui exerça, entre autres, à l’Université Goldsmiths.

10 On comprend que John Baily, s’il n’apparaît pas comme éditeur de l’ouvrage, a joué un rôle majeur dans son élaboration, puisqu’il est à l’origine

11 Cette contribution particulièrement dense est discutée plus bas.

12 Formulation que je reprends à Yara El Ghadban (2006).

13 La démarche de Jerome Lewis nous semble par exemple différer de manière notable de celle d’un Maurice Bloch (pourtant cité dans ce chapitre) pour

14 Outre l’effet de la centralisation sur la capitale, cette prédominance londonienne peut aussi s’expliquer par le budget restreint qui était mis à

15 Citons notamment les travaux d’Hélène Neveu-Kringelbach (2013). Cette chercheuse a toutefois été invitée depuis à donner une conférence au RAI et a

16 En Angleterre, le terme « d’ethnochoréologie » est employé pour désigner des formations spécialisées en master et doctorat à Limerick et Roehampton

17 Débats qui se traduisent par des publications (voir entre autres le volume dédié à cette question dans la collection des Oxford Handbook, Pettan et

18 Dans l’islam, le terme de dhikr (signifiant « souvenir ») désigne la pratique de l’invocation et consiste en la répétition rythmée du nom de Dieu

19 Organisées par la branche britannique de l’IASPM et débouchant sur la publication d’un ouvrage (Stokes 2023)

Avelar Idelber et Christopher Dunn (dir.), 2011, Brazilian popular music and citizenship. Duke University Press.

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Baker Geoffrey, 2014, El Sistema. Orchestrating Venezuela’s Youth. Oxford, Oxford University Press.

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1 Citons, entre autres noms qui ont marqué le débat anglophone des années 1950-1970, ceux de Jaap Kunst, Mantle Hood, Michael Kolinski, Alan Merriam, John Blacking, Bruno Nettl.

2 Sur les débats ayant opposé les tenants d’une « anthropologie de la musique » et d’une « ethnomusicologie », voir notamment Laborde 1997, p.12-13. Dans le contexte britannique sur lequel se centre cet article, on a eu tendance à cette époque à distinguer un courant « anthropologique » représenté par John Blacking (« l’école de Belfast ») d’un courant « musicologique » incarné entre autres par le département d’ethnomusicologie du SOAS (School of African and Asian Studies). Si sur le plan institutionnel, l’ethnomusicologie est aujourd’hui davantage représentée dans des départements de musique et de musicologie, le clivage sur le plan des démarches scientifiques s’est cependant estompé (Martin Stokes, communication personnelle).

3 Je m’inspire ici d’une question formulée par Jean-Louis Fabiani à propos de la sociologie de la culture (2007), ainsi que des réflexions développées par Gérard Lenclud sur l’anthropologie (2006).

4 Présentes dans quatre contributions sur onze, les études anthropologiques en danse ont connu un développement important en Grande Bretagne comme ailleurs. Sur le plan institutionnel, elles se sont notamment développées dans des établissements et départements universitaires spécialisés en danse (à Limerick, Roehampton, l’Université Goldsmiths, dont viennent les auteures des contributions ici rassemblées sur la danse).

5 Je m’inspire ici de la distinction entre « démarche de connaissance », « savoir » et « discipline » formulée par Jean-Louis Fabiani (2006).

6 Le présent article est marqué par la position que j’occupe dans cet espace académique, ancrée dans le champ de l’ethnomusicologie et des études sur la musique beaucoup plus que dans celui des études sur la danse.

7 On peut citer comme exemple les nombreuses publications de la collection « Oxford Handbook » sur la musique (« Applied Ethnomusicology », « Children’s Musical Cultures »...) ou la danse (« Dance and Politics », « Hip Hop Dance Studies »...)

8 Citons entre autres exemples (Stobart 2008) ou (Clayton et al. 2012)

9 Anthropologue et ethnomusicologue formé aux côtés de John Blacking à l’Université de Belfast et qui exerça, entre autres, à l’Université Goldsmiths. Il est l’auteur du premier chapitre de l’ouvrage qui revient sur l’émergence plus ancienne (dans les années 1950-70) d’un « comité d’ethnomusicologie » au sein du RAI.

10 On comprend que John Baily, s’il n’apparaît pas comme éditeur de l’ouvrage, a joué un rôle majeur dans son élaboration, puisqu’il est à l’origine de la reconstitution du Comité et des conférences qui y ont été organisées.

11 Cette contribution particulièrement dense est discutée plus bas.

12 Formulation que je reprends à Yara El Ghadban (2006).

13 La démarche de Jerome Lewis nous semble par exemple différer de manière notable de celle d’un Maurice Bloch (pourtant cité dans ce chapitre) pour ce qui est de l’approche des processus de transmission (Bloch 2020) et de l’articulation entre démarche ethnographique et réflexion théorique.

14 Outre l’effet de la centralisation sur la capitale, cette prédominance londonienne peut aussi s’expliquer par le budget restreint qui était mis à disposition par le Royal Anthropological Institute (aux dires d’un témoin : « ils nous offrent quelques sandwiches, c’est tout »).

15 Citons notamment les travaux d’Hélène Neveu-Kringelbach (2013). Cette chercheuse a toutefois été invitée depuis à donner une conférence au RAI et a rejoint en 2020 le comité d’ethnomusicologie et ethnochoréologie : https://www.therai.org.uk/committees/ethnomusicology-committee

16 En Angleterre, le terme « d’ethnochoréologie » est employé pour désigner des formations spécialisées en master et doctorat à Limerick et Roehampton — parfois en alternance avec celui d’anthropologie de la danse. Il est moins en usage en France, où d’autres termes (comme celui d’« ethnoscénologie ») se sont aussi implantés.

17 Débats qui se traduisent par des publications (voir entre autres le volume dédié à cette question dans la collection des Oxford Handbook, Pettan et Titon 2015) et par de nombreuses initiatives développées par les ethnomusicologues dans le champ de l’action sociale, médicale, culturelle notamment, qui ne donnent pas toujours lieu à des publications, mais nourrissent les échanges au sein de groupes de travail (à l’ICTM par exemple). Dans sa contribution, Martin Stokes aborde ces enjeux sous l’angle d’un questionnement sur la musique et l’engagement civique.

18 Dans l’islam, le terme de dhikr (signifiant « souvenir ») désigne la pratique de l’invocation et consiste en la répétition rythmée du nom de Dieu ou d’une courte prière.

19 Organisées par la branche britannique de l’IASPM et débouchant sur la publication d’un ouvrage (Stokes 2023)

Talia Bachir-Loopuyt

Maîtresse de conférences à l’Université de Tours de 2016 à 2024, Talia Bachir-Loopuyt a été rattachée au laboratoire CNRS Passages-ARI en 2022-2024. Elle est depuis septembre 2024 Professeure associée en ethnomusicologie à la Haute École de Musique de Genève. Ses travaux ont porté sur les festivals de musiques du monde en Allemagne et en France, la diffusion des musiques turques en France, la visibilité de l’islam en région lémanique, l’histoire de l’ethnomusicologie et l’épistémologie des sciences de la musique. Elle mène actuellement une recherche sur l’enseignement des musiques orientales en France et coordonne un programme de recherche sur les orchestres à vocation sociale DEMOS (Philharmonie Paris). Impliquée dans plusieurs comités de revue, elle codirige le festival Haizebegi et membre du conseil scientifique de l’ethnopôle CMTRA.