Présent épais et communs latents temporels

À propos de Donna J. Haraway, Vivre avec le trouble, 2020

Julien Pieron

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Julien Pieron, « Présent épais et communs latents temporels », Lectures anthropologiques [En ligne], 7 | 2020, mis en ligne le 23 avril 2024, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.lecturesanthropologiques.fr/797

L’article présente un compte-rendu de Vivre avec le trouble en prenant pour fil conducteur la question du temps, dans la figure du Chthulucène. Esquissant une généalogie philosophique de la notion harawayenne de présent épais, il présente les grandes lignes de la conception pragmatiste du temps qui sous-tend la pensée récente de Donna Haraway. Passé, présent et avenir s’y révèlent comme autant de modes d’existence, qui s’articulent les uns aux autres via un travail de soin et d’activation temporels auquel l’écriture SF de Donna Haraway contribue de façon puissante et originale.

The article presents an account of the French translation of Staying with the Trouble, taking the question of time, in the figure of the Chthulucene, as a common thread. Sketching a philosophical genealogy of the Harawayan notion of thick present, it outlines the pragmatist conception of time that underlies Donna Haraway’s recent thinking. Past, present and future appear as modes of existence that are articulated through a work of temporal care and activation to which Donna Haraway’s SF writing contributes in a powerful and original way.

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Compte rendu d’Haraway Donna J., 2020, Vivre avec le trouble. Vaulx-en-Velin, Les Éditions des mondes à faire, trad. Vivien García.

« Chthulucène » est un mot simple. Il est formé à partir de deux racines grecques : khthôn et kainos. Ensemble, elles nomment une sorte de temps-espace pour apprendre à vivre avec le trouble, à vivre et mourir avec respons(h)abilité, sur une terre abîmée. Kainos veut dire « maintenant », c’est un temps de commencements, de continuation (ongoing) et de fraîcheur. Rien en lui ne doit renvoyer au passé, au présent ou au futur conventionnels. Il ne requiert d’éliminer ni ce qui a précédé ni ce qui adviendra. Il peut être plein d’héritages et de souvenirs, lourd d’avènements. Il peut cultiver, encourager et prendre soin de ce qui est encore susceptible d’être. Ce kainos, je le comprends comme une présence épaisse, en cours (ongoing), avec des hyphes1 qui pénètrent toutes sortes de temporalités et de matérialités (p. 8).

I. À l’heure où j’écris ces lignes, Les Éditions des mondes à faire mettent la dernière main à Vivre avec le trouble, traduction française du livre de Donna Haraway, Staying with the Trouble. Making Kin in the Chthulucene (2016). Le texte original a été parfois augmenté, et une série de figures nouvelles flottent ou s’incrustent désormais au fil des pages, comme autant de créatures marines ou de sédiments géologiques. Si la traduction du titre a donné du fil à retordre aux éditeurs, qui ont longuement hésité entre « Habiter » et « Vivre avec » le trouble (celui d’un présent blessé désormais nommé Anthropocène, Capitalocène ou encore sixième extinction des espèces), le sous-titre qui articulait la question de la parenté à celle du temps (comme époque ou âge du monde) a quant à lui sauté dans la mêlée. Ces choix éditoriaux d’ajouter et de soustraire se justifient pleinement. Donna Haraway est une autrice prolixe, dont l’attention toujours en éveil, la générosité et le scrupule font qu’elle ne manque jamais une occasion d’allonger sa déjà très longue liste des êtres qui comptent, et qu’elle exige de ses lecteur·ices qu’iels en fassent autant. Pour Haraway, les travaux universitaires sont des jeux de ficelles à plusieurs mains (ou pattes ou tentacules) à la faveur desquels des motifs de pensée et de vie s’esquissent, se consolident et se continuent. On ne peut décemment les relayer sans les transformer. Penser consiste toujours à penser-avec, dans un compagnonnage et une confiance générative.

II. Cette générosité attentive, qui caractérise la prose de Donna Haraway, emporte et revigore. Elle étourdit aussi quelquefois. On en vient à penser que telle phrase aurait été mieux frappée si elle s’était arrêtée un peu plus tôt ; aux heures sombres, on songe qu’il faudrait réécrire Staying with the Trouble en l’élaguant au format d’un « Que sais-je ? » ; et à la lecture des segments de texte qui d’un chapitre à l’autre font retour tels des mantras, on sent quelquefois monter en soi un léger malaise, comme une fatigue au bord de l’indigestion. Mais parce qu’on a appris à aimer Haraway au fil des années, à prêter attention à ce que son ton et son rythme si singuliers offrent à notre attention, à ce qu’ils lestent et font importer, on comprend que ce malaise-là aussi nous fait entrer au cœur de sa pensée et de son monde — qu’il est une façon de nous mettre à table, parmi les espèces compagnes, dans un étrange festin eucharistique où nous sommes à la fois convives et parties du menu. Qu’un texte qui prétend nous entraîner dans ce monde nous dévore et nous déborde, c’est au fond la moindre des politesses.

III. Filant une métaphore théâtrale, Latour (2015 : 11) avançait récemment que ce que les modernes considéraient jusqu’il y a peu comme de simples éléments du décor (naturel) dans lequel se jouait leur Histoire (humaine) occupent désormais le devant de la scène et se révèlent autant d’acteurs indispensables au déroulement de l’intrigue. Avec la notion d’espèces compagnes — étymologiquement : celles qui partagent le pain quotidien ; « harawayennement » : celles qui constituent les unes pour les autres, sous toutes sortes de modalités matérielles-sémiotiques, une part de cette pitance quotidienne — Haraway retravaille une idée assez proche de celle de Latour, mais en l’incarnant davantage. Changement de métaphore : il ne s’agit plus de théâtre, il s’agit de nourriture et d’alimentation, d’intimité des corps, d’ingérer et d’être ingéré ; il s’agit aussi de vivre et de mourir, et de la manière dont on le fait. Introduits dès le premier chapitre de Vivre avec le trouble (« Jeux de ficelles entre espèces compagnes », p. 19-51), ces motifs ne quitteront plus l’ouvrage. Issus de son travail antérieur (Haraway 2008, 2018), ils sont ce d’où la philosophe californienne part pour tenter elle-même d’accompagner ce qui se joue au présent. Vivre avec le trouble constitue en ce sens moins un livre que les différents jalons d’une recherche. Quelque chose se cherche au fil des pages, en explorant différentes figures, différents registres et différents gestes. Sans doute une façon de répondre à ce qui nous arrive, ou tout au moins de nous mettre en capacité de le faire : une tentative d’apprendre ensemble ce que Haraway nomme respons(h)abilité.

IV. Pour donner une petite idée des êtres et des paysages de Vivre avec le trouble, disons qu’il s’y agit notamment de pigeons féraux, d’araignées, de pieuvres, de poulpes et de leurs innombrables avatars (biologiques, religieux, esthétiques et mythologiques), de philosophes belges et australiens, de calamars et de bactéries, de coraux et d’amateurs de crochet, de lémuriens de Madagascar, de biologistes et d’éthologues, d’écoliers, de paysans et de petites mains dans l’économie mondialisée de la sous-traitance, de joueuses et de joueurs, de concepteurs vidéoludiques, de vent, de neige, de banquise fragile, de renards et de coyotes, d’Indiens Navajo et de moutons Churro, d’ingénieurs agronomes, d’activistes écosexuelles et d’anthropologues so british, de chiennes incontinentes et d’universitaires ménopausées, de pharmaciens d’officine et d’éleveurs de juments gestantes, de fourmis, d’acacias et d’écrivaines SF, de cratéropes écaillés et de chameaux par paquets de onze-plus-un-gratuit, d’enfants mutant·es à venir qui entrecroisent les genres et les règnes, de papillons monarques, de faucons crécerelles et de militantes Mazahua.

V. Disons aussi — pour énumérer de façon tout aussi expéditive les principaux gestes et registres explorés dans le livre — que Vivre avec le trouble ambitionne de mettre à jour notre image de la pensée à l’heure de la biologie eco-evo-devo (écologique, évolutionniste et développementale), à la faveur d’un jeu matériel-sémiotique avec des figures qui sont toujours en même temps des êtres du monde, et d’abandonner les schèmes et l’imaginaire de l’individualisme méthodologique pour apprendre à habiter un monde d’inter — et d’intra-actions où les enchevêtrements, symbioses et coévolutions sont désormais la règle (« Une pensée tentaculaire », p. 53-111) ; de relayer — au double sens de passer le relais et de re-raconter — des histoires partagées de vie, de mort et de continuation fragile dans des mondes situés, en essayant de les épaissir en retour, c’est-à-dire d’ajouter un ou deux fils au tissage-de-monde qu’elles effectuent, en prenant au sérieux avec quelles histoires on raconte d’autres histoires, avec quelles pensées on pense d’autres pensées (« Sympoïèse », p. 113-191) ; de produire un manifeste pour de nouvelles façons — queer, écoféministes et interspécifiques — de fabriquer de la famille et de la parenté, en cessant de se voiler la face devant le problème de la surpopulation mais sans rien céder sur l’héritage des luttes féministes et décoloniales (« Faites des parents ! », p. 217-232) ; de partir d’une situation quotidienne puis de s’amuser à en tirer quelques fils et à les suivre à la façon de la sociologie de l’acteur-réseau, c’est-à-dire le plus loin possible, afin de susciter cette combinaison d’attention éveillée et d’inconfort que Haraway appelle aussi non-innocence (« Inondées d’urine », p. 233-254) ; de déclarer d’un même mouvement sa dette et son amour pour la SF féministe d’Ursula K. Le Guin et Octavia Butler2, dans une écriture qui fait autant vibrer les corps que les âmes matérielles-sémiotiques (« Ensemencer des mondes », p. 255-271) ; de se constituer un petit viatique pour bien partir en visite grâce aux travaux de la philosophe Vinciane Despret3 — qui nous apprennent comment le bon usage scientifique d’une politesse curieuse peut rendre le monde et les autres plus intéressants, et leur laisser en retour l’occasion de nous rendre plus intéressants (« Une pratique curieuse », p. 273-285) ; de plonger enfin à son tour, de façon risquée et sans doute imparfaite, dans le récit SF de cinq générations d’enfants (les Camille) élevé·es en lien symbiogénétique avec des espèces animales menacées, en fabulant le travail et le jeu menés au sein des « Communautés du Compost » : entre 2025 et 2425, à travers une réinvention expérimentale des pratiques et des frontières de l’espèce, de la parenté et du genre, ces Communautés se seront en effet consacrées corps et âme à activer des résurgences partielles et à nourrir des formes d’épanouissements multispécifiques (« Histoires de Camille », p. 287-346).

VI. Nous ne tenterons pas de déplier cet aperçu volontairement sommaire et indigeste. Nous nous y essaierons d’autant moins que les lecteur·ices francophones disposent désormais, grâce au travail remarquable de Vivien García, d’une version française impeccable, à la fois rigoureusement fidèle au travail incessant des images et des tropes, et suffisamment libre dans sa réinvention du rythme et de la syntaxe pour faire véritablement penser Haraway en français. Nous nous proposons plutôt de prolonger le jeu de ficelles. Pour ce faire nous choisissons un fil, celui du temps, dans la figure du Chthulucène4. Celle-ci constitue la réponse de Haraway aux débats contemporains sur la délimitation des époques géologiques et en particulier de cette nouvelle époque — dans laquelle nous serions entrés depuis l’après-guerre, la révolution industrielle ou la colonisation — qui se caractérise par un étrange télescopage des échelles temporelles (l’histoire naturelle et l’histoire de la Terre entrant en collision violente avec l’Histoire humaine) et dont on ne sait s’il faut la nommer Anthropocène, Capitalocène ou Plantationocène. Vue de très loin, la proposition du Chthulucène semble une façon pour le moins singulière d’ajouter un nom à la liste. À y regarder de plus près, on s’aperçoit qu’elle vise une autre façon d’habiter un temps lui-même autre que celui, linéaire et chronologique, des époques géologiques.

VII. La proposition du Chthulucène prend place dans le cadre d’une réflexion sur le temps géologique, les échelles temporelles et les régimes d’historicité, d’une réflexion sur l’Histoire et les histoires aussi — celles que l’on se raconte, celles au sein desquelles et à travers lesquelles on vit. Lorsque Haraway invoque le Chthulucène, c’est pourtant le plus souvent en accolant les deux dimensions du temps et de l’espace : il est question d’un temps-lieu (timeplace, Haraway 2016 : 2) ou d’un ailleurs qui serait à la fois spatial et temporel (elsewhere and elsewhen, ibid. : 31). La raison de cette non-séparation, c’est que le Chthulucène est d’abord conçu comme lieu d’un habiter, et que ce dernier s’accomplit indissociablement dans ou plutôt à même le temps et l’espace. Selon nous, « habiter » est chez Haraway un verbe qui doit toujours s’entendre et se penser à la voix moyenne, à mi-chemin de l’actif et du passif. On n’habite jamais sans être habité ; on ne peuple pas un monde sans devenir soi-même un des fils de son tissage perpétué. Habiter un monde, habiter un temps-lieu : les traverser et y prendre part, dynamiquement, dans ce que Haraway nomme parfois une danse ou une chorégraphie ontologique ; y être et en être.

VIII. L’entente de l’habiter en voix moyenne rend d’emblée caduque la tentative de penser le Chthulucène à partir de l’opposition de la forme et de la matière. Le temps harawayen n’est pas une forme vide dont on pourrait décrire a priori les structures. Le temps, comme tout le reste, se fabrique. Il se fait dans des inter — et intra-actions. S’il y a une réalité du temps, elle est matérielle-sémiotique : le temps est un pattern, un motif signifiant émergeant à même un jeu de ficelles ou une danse qui entremêle des corps et des partenaires multiples. Comme Péguy, Haraway appartient à cette famille de penseur·ses qui n’abordent le temps qu’à partir de ce que leurs adversaires formalistes appelleraient (dans une façon de nommer qui mutile et sépare) son « contenu ». Iels ne dissertent pas sur les structures du temps historique ou géologique en général, mais nous parlent en détail de l’affaire Dreyfus, des événements de la Commune, de la mort des coraux ou de la résurgence des moutons Navajo-Churro — parce que s’enfoncer dans la mêlée des corps et des âmes est à leurs yeux la seule bonne façon d’être à la hauteur du sujet.

IX. Du Chthulucène, Haraway dira donc, de manière formelle et générale, assez peu de choses. Il est toutefois possible d’en épingler quelques traits remarquables, parmi lesquels d’abord une étrange forme de perpétuité. Le Chthulucène désigne indéniablement un temps autre ; mais il est aussi un temps « qui a été, est encore et pourrait encore être » (p. 58). Cette perpétuité paradoxale est liée au geste d’un diagnostic qui contribue à faire advenir ce qu’il semblait se borner à constater. De la proposition du Chthulucène, Haraway attend qu’elle accompagne une transformation de nos façons d’habiter le temps, et par là une transformation du temps tout court. Le nouveau régime temporel qu’elle vise n’est pourtant pas présenté comme nouveauté radicale mais comme quelque chose de très ancien, jusqu’ici inaperçu mais toujours bien présent, et qui pourrait encore avoir des suites. Je nomme diagnostic performatif cette tentative de contribuer à l’avènement d’une situation nouvelle en la présentant comme toujours-déjà présente mais au fond inaperçue.

X. Le geste du diagnostic performatif n’est pas sans antécédent dans l’histoire de la philosophie. On en trouve notamment les prémices dans Nous n’avons jamais été modernes (Latour 1991). Dans cet essai d’anthropologie symétrique, Bruno Latour tente de transporter ses lecteurs hors de la modernité en leur montrant qu’ils n’ont au fond jamais véritablement habité cette modernité, qu’ils ont toujours été ailleurs et ont toujours fait autre chose. Pour ce faire, Latour procède à une redescription de la pratique des autoproclamés modernes, tente d’en offrir un autre compte rendu, et fait le pari que si cette redescription emporte l’adhésion, elle pourra accompagner une transformation qui contribuera à valider rétroactivement son diagnostic. Avec la proposition du Chthulucène comme temps des chthoniens — comme temps d’une symbiogenèse et d’une sympoïèse immémoriales mais seulement récemment aperçues par cette biologie eco-evo-devo qui enseigne combien il importe de prendre soin des relations génératives au moment même où s’intensifie la possibilité de leur destruction — Haraway s’inscrit à sa façon dans cet héritage, à ceci près qu’elle met tout en œuvre pour que cette stratégie gagne furieusement en incarnation.

XI. La grande menace qui pèse sur la pratique du diagnostic performatif, c’est que la transformation qu’elle tente d’accompagner ne se réduise à une simple prise de conscience — un petit frisson idéaliste qui n’engage précisément à rien, qui ne change pas d’un iota nos pratiques et nos façons quotidiennes de vivre. Comme l’écrivait Péguy : « Tout est dans l’incorporation, dans l’incarcération, dans l’incarnation » (Péguy 1992 : 1273). Si cette quête de l’incarnation passe par l’exploration de techniques d’écriture visant à faire vibrer d’autres zones que celle de l’esprit, elle ne peut pourtant s’y réduire. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles Haraway ne cesse de multiplier, jusqu’à satiété et parfois un peu au-delà, les façons de relayer des histoires concrètes et familières de cohabitation ou de sympoïèse, et aussi d’explorer les moyens d’offrir une résonance à des projets artistiques, politiques et scientifiques situés dans des mondes réels, qui marquent ceux qui y prennent part dans leur chair.

XII. Dans l’incipit d’un roman (Liens de sang) qui traite justement de passages d’un temps à un autre, Octavia Butler écrit : « J’ai perdu un bras au retour de mon dernier voyage. Le bras gauche. J’ai perdu presque un an de ma vie aussi et une bonne part du confort et de la sécurité dont je ne mesurais pas la valeur tant que je les avais. Quand la police l’a relâché, Kevin est venu à l’hôpital et il ne m’a pas quittée pour que je sache que je ne l’avais pas perdu, lui aussi » (Butler 2000 : 9). Ces quelques lignes désignent la condition nécessaire de toute transformation qui ne soit pas une simple prise de conscience : qu’elle laisse une trace indélébile dans la chair. Haraway n’ignore pas cette condition-là. L’insistance qu’elle met à penser conjointement le bien-vivre et le bien-mourir et à souligner l’importance proprement vitale des pratiques de deuil sont là pour en témoigner. Ce que suggèrent encore les premières lignes du roman d’Octavia Butler, c’est que pour traverser l’épreuve de la perte il est besoin de n’avoir pas tout perdu, de pouvoir encore faire parenté ou parentèle de manière minimale. Ce motif-là aussi est harawayen, et profondément politique — nourri par le militantisme et la pensée queer, écoféministe et décoloniale. Au-delà de son entame, il y a dans l’économie du roman de Butler une intuition qui croise Vivre avec le trouble au plus profond : ce que les lecteur·ices de Liens de sang (Kindred) découvrent progressivement — et que découvriront à leur tour celleux de Vivre avec le trouble — c’est que les nouvelles et étranges façons de faire parenté qu’il met en scène sont précisément le moteur du passage d’un temps à un autre.

XIII. Autre trait remarquable du Chthulucène : « Rien en lui ne doit renvoyer au passé, au présent ou au futur conventionnels » (p. 8). Ces passé, présent et futur conventionnels sont ceux qui se répartissent sur une ligne, et qui ne cessent de se remplacer ou de s’éliminer les uns les autres — d’autant plus violemment peut-être qu’est cultivée l’idée selon laquelle un présent viable ne pourra s’établir qu’en faisant table rase du passé et/ou en nous sauvant d’un futur apocalyptique. À ce temps linéaire, Haraway oppose le temps d’une présence continuée et en cours : un présent épais, nourri et comme entretissé d’héritages et d’avènements. Présent épais contre temps linéaire et chronologique, donc. Sur ce point aussi, Haraway n’est pas sans prédécesseurs : Bergson (2013) et Péguy (1992), puis à leur façon Deleuze (1985) et Latour (1991), ont chacun exploré l’idée d’un temps « en épaisseur », qui ne serait plus pensé à partir de l’image géométrique de la ligne, mais à partir de celle, géologique, des strates et sédimentations et des mouvements souterrains qui les animent pour les mettre en communication les unes avec les autres.

XIV. Dans le cadre restreint de cet article, nous mettons au travail une intuition de Péguy pour proposer une caractérisation des déplacements opérés par cette pensée du temps en épaisseur que Haraway prolonge à sa manière. Nous empruntons cette intuition à un article publié en avril 1914, la « Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne » (Péguy 1992 : 1246-1277). Péguy y avance l’idée que la différence entre présent, passé et futur n’est pas une différence chronologique mais une différence modale : une différence d’être ou de mode d’existence. Transiter du futur au présent, du présent au passé, ce n’est pas se déplacer sur une ligne du temps, c’est véritablement changer d’être, accomplir une métamorphose ou une mue ontologique, se dévêtir d’un mode d’existence pour en revêtir un autre. Cette transformation modale n’advient pas automatiquement, en vertu d’une mécanique toute formelle qui ferait inlassablement tomber du futur au passé par l’intermédiaire du présent. Cette mue ontologique est au contraire affaire de situations et d’intérêts, et constitue toujours un événement. Penser les différences temporelles comme des différences modales exige dès lors d’abandonner la conception formaliste pour s’engager dans une approche pragmatiste du temps.

XV. Le présent désigne le mode d’existence de ce qui est en train de se faire, de ce qui nous concerne, nous travaille et nous requiert. C’est aussi le mode d’existence de ce qui importe et qui par conséquent nous intéresse. Que cette importance et cet intérêt viennent à cesser, alors — et alors seulement — se produit le basculement du présent au passé, qui désigne pour sa part le mode d’existence du fait accompli, de ce qui a cessé d’importer, de nous mettre au travail et à la question. Comme l’écrivait Bergson dans la deuxième de ses conférences de 1911 sur « La perception du changement » (2013 : 143-176) : « Notre présent tombe dans le passé quand nous cessons de lui attribuer un intérêt actuel. Il en est du présent des individus comme de celui des nations : un événement appartient au passé, et il entre dans l’histoire, quand il n’intéresse plus directement la politique du jour et peut être négligé sans que les affaires s’en ressentent. Tant que son action se fait sentir, il adhère à la vie de la nation et lui demeure présent. » (Bergson 2013 : 169) On ne peut attribuer au temps le pouvoir magique de faire basculer automatiquement les événements du futur au présent, et du présent au passé. Ce basculement est affaire de tri : il est lié à l’événement d’une variation d’importance ou d’intérêt, cet événement que l’auteur de Clio (Péguy 1992 : 997-1214) a saisi avec tant de justesse : « Il n’y a rien eu. Et tout est autre. Il n’y a rien eu. Et tout est nouveau. Il n’y a rien eu. Et tout l’ancien n’existe plus et tout l’ancien est devenu étranger. Et on ne sait plus de quoi on parlait, (dit-elle). Et on admire qu’on ait pu y mettre tant de feu. […] Il n’y a rien eu, et le monde a changé de face, et l’homme a changé de misère. On se demande ce que l’on disait. Et on ne le trouve plus. On se demande de quoi on parlait. Le galérien a changé de chaîne. Et une jeunesse s’est muée en vieillesse. » (Péguy 1992 : 1206) Si l’événement que constitue une variation d’importance ou d’intérêt peut être assimilé à un tri, tout l’enjeu d’une approche pragmatiste du temps revient à saisir que, selon le mot de Latour, « c’est le tri qui fait le temps et non pas le temps qui fait le tri » (1991 : 103).

XVI. Dans l’approche pragmatiste qui soutient la pensée du temps en épaisseur, « passer » ne revient plus à cesser d’exister, et « être » ne s’identifie plus seulement à « être présent ». Ce qui porte l’étiquette « passé » n’est pas pour autant anéanti ou définitivement englouti. Nous vivons entourés de choses et d’êtres (des ruines du Colisée aux amours mortes) qui ont cessé d’importer et de nous intéresser, qui sont de ce fait considérés comme autant de vestiges du passé accumulés autour de nous, et qui n’en sont pas moins doués d’existence. Dans le sillage de Péguy, Latour a bien montré qu’un des carburants de la modernité aura consisté dans le tracé sans cesse répété d’une ligne de démarcation entre les modernes, seuls véritablement présents et actuels, et tous leurs « autres » dont les existences précarisées apparaissent comme autant de survivances archaïques ou réactionnaires. Tout régime d’historicité est en ce sens un opérateur de tri et de ségrégation. L’approche pragmatiste du temps met au jour cette opération de tri et souligne que ce qu’on nous présente comme « passé » ne l’est jamais véritablement, qu’il est toujours susceptible de faire retour afin d’inquiéter ou de prêter main-forte à ce qui se trame, se fabrique et s’invente au présent.

XVII. La métaphore géologique des strates et des plissements qui mettent en communication des couches temporelles anachroniques permet de figurer l’idée que le passé ne se volatilise pas, qu’il est toujours susceptible de faire retour dans le présent, que ce soit pour l’entraver ou participer à sa création. Cette métaphore géologique, filée tant par Péguy que par Deleuze, trouve un avatar harawayen dans la figure du compost, qui prolifère dans Vivre avec le trouble. Celle-ci prend naissance dans une tentative ludique de recycler les idées de posthumain et de posthumanisme en les reformatant dans le cadre d’une pensée de la sympoïèse, de la symbiogenèse et du compagnonnage interspécifique. Dans l’usage harawayen du compost, il faut entendre résonner à la fois le post du posthumanisme et le cum des espèces compagnes. Mais la figure du compost peut également être lue comme une façon de prolonger la conception pragmatiste d’un temps « en épaisseur », comme une relève de la métaphore géologique — avec laquelle elle partage l’idée d’une superposition de couches ou de strates et celle d’une mobilité générative, qui met littéralement en présence des segments apparemment anachroniques. Ce que la figure du compost accentue et dramatise, c’est l’intrication des dimensions du vivre et du mourir, l’idée que la mort et la métamorphose matérielles-sémiotiques peuvent contribuer à la continuation de la vie, et qu’il y a dès lors un enjeu vital à « bien mourir » et à cultiver des pratiques qui permettront de prendre soin et d’hériter de diverses formes de mort.

XVIII. Réinscrire Haraway dans le sillage d’une approche pragmatiste du temps « en épaisseur » permet de mieux saisir l’importance de deux termes simples mais difficiles à traduire, qui ponctuent véritablement Staying with the Trouble : l’adjectif ongoing (en cours, continu, persistant) et le substantif qui en dérive, ongoingness. Ces deux termes charrient à la fois la signification d’une prolongation, d’une poursuite ou d’une continuation (s’effectuant par ajout récurrent d’un segment, d’un geste ou d’une figure) et celle d’un processus en cours d’effectuation, « en train de se faire ». Dans ce second sens, ongoing et ongoingness traduisent parfaitement le présent comme mode d’existence — dans la modalité du « se faisant ». C’est en plaçant toute l’accentuation sur cette dimension du présent que Haraway caractérise la temporalité du Chthulucène. Celle-ci n’est pas définie comme une façon de mettre bout à bout et ainsi d’articuler passé, présent et futur, mais elle est d’abord approchée à partir des idées de présent et de présence. Des deux racines grecques auxquelles « Chthulucène » renvoie, khthôn fait signe vers les chthoniens ou créatures de la terre (pensées à travers la tentaculaire Chthulu), et kainos apporte la valeur temporelle. De kainos, Haraway affirme (p. 8) qu’il signifie « maintenant » (now) et qu’il renvoie à l’idée de nouveauté, au double sens de fraîcheur et de processus en cours. Cette nouveauté ne doit pas être pensée comme une façon d’évacuer ce qui vient avant, de faire table rase du passé. Elle se nourrit au contraire d’un travail de mémoire et d’héritage de l’accompli, de ce qui existe dans la modalité du « tout fait » — dont nous avons vu qu’il constitue le sens modal du passé. Ce qui est saisi dans le mode d’existence du passé peut ainsi fournir le matériau d’une reprise ou d’une métamorphose qui viendra nourrir la processualité d’un présent envisagé comme présence épaisse (thick presence).

XIX. Si le présent, qu’on pourrait penser de façon restrictive comme constituant seulement une « partie » du temps, suffit pour Haraway à en désigner la totalité, c’est parce que présent et passé ne désignent plus des segments distincts de la ligne du temps, mais des modes d’existence qui s’entretissent dans la pulsation et l’épaisseur matérielle-sémiotique d’un « se faisant ». Le présent se fait toujours sur le mode de la sympoïèse, de l’inter — et intra-action, des alliances interspécifiques et anachroniques — bref de la mêlée et du brassage génératifs constituant le lot des créatures chthoniennes, qui donnent le ton du Chthulucène. Les créatures de la terre y jouent un jeu de ficelles. Rien de la nouveauté qui s’y fabrique n’advient ex nihilo, mais tout y est affaire de relais, de reprise, de prolongement et de continuation de ce qui a eu lieu. Nous retrouvons ici l’autre signification des termes ongoing et ongoingness, dont nous comprenons qu’elle saisit pour sa part la manière même selon laquelle, au Chthulucène, ce qui est en train de se faire se fait, se fabrique et se trame.

XX. Quel est dans ce cadre le statut de l’avenir ou du futur ? En prolongeant les variations modales sur le faire, on peut risquer l’idée que si le présent correspond au mode d’existence du « se faisant » et le passé au mode d’existence du « tout fait », l’avenir désigne pour sa part le mode d’existence de ce qui s’atteste comme « à faire ». Dans une belle conférence de 1956, intitulée « Du mode d’existence de l’œuvre à faire », Étienne Souriau (2009 : 195-217) a tenté d’en cerner les contours, sans pourtant le mettre explicitement en rapport avec le problème du temps. « À faire » est le mode de ce qui existe à l’état de possible fragile, de virtualité ou de germe, et qui nous aborde comme un appel à une prise en charge ontologique, à un travail d’accompagnement qui lui permettra peut-être d’arriver à la plénitude de son accomplissement — au terme indéterminé d’un trajet toujours risqué et problématique. Les exemples sans doute les plus immédiatement parlants d’existence dans la modalité du « à faire » sont d’ordre esthétique : le relief et la texture particulières d’une paroi rocheuse qui s’offre comme l’amorce du bison que l’engagement de l’artiste paléolithique permettra peut-être de faire advenir à l’existence pleine ; l’anecdote qui surprend le romancier Henry James au détour d’une conversation, et qu’il soupèse ensuite dans ses carnets pour déterminer si et dans quelle mesure elle pourrait constituer l’embryon d’une nouvelle ou d’un roman. La rencontre de ce qui se donne comme « à faire » déborde toutefois largement la sphère esthétique : elle concerne toutes les dimensions de nos vies, que celles-ci soient morales, érotiques, politiques ou scientifiques. Rencontrer une existence « à faire », c’est déceler dans le terrain du temps une veine d’avenir, c’est gagner un premier accès, précaire et partiel, à un mycélium de possibilités, d’exigences et de questions encore sans réponses.

XXI. On envisage souvent la science-fiction comme une façon de spéculer sur le futur, entendu au sens « chronologique » d’un présent en attente d’être. La SF dont Haraway se revendique peut au contraire être caractérisée comme une façon de nourrir et de fluidifier le présent, tout en l’intensifiant et en le mettant en tension. L’un des aspects les plus préoccupants de la catastrophe environnementale que nous sommes désormais voués à habiter, c’est la façon dont les affects apocalyptiques qu’elle charrie produisent un effet de sidération dont la conséquence dévastatrice est une forme de pétrification du présent. En termes modaux, l’affect ou l’effet « game over » n’est rien d’autre qu’une façon de nous appréhender, nous et ce qui nous arrive, sur le mode du « tout fait », de l’accompli, du déjà-joué-déjà-perdu — c’est-à-dire du passé. Pour rendre à ce qui nous arrive sa mobilité créatrice, pour en faire un présent « se faisant », il est vital de cultiver une confiance générative qui puisse servir de terreau à de nouvelles formes de respons(h)abilité. C’est cette confiance que les histoires SF de Camille et des cinq générations d’Enfants du Compost se proposent de nourrir, en fluidifiant notre imagination des pratiques du genre et de la parenté et en fabulant des formes d’épanouissements multispécifiques encore possibles dans des mondes plus qu’abîmés. Les histoires de Camille constituent également une façon d’intensifier le présent en aggravant certaines de ses coordonnées, ou de le mettre en tension en dramatisant des situations ou des problèmes que nous n’avons pas encore rencontrés. Dans tous ces sens, la SF harawayenne peut être saisie comme un amplificateur d’importance. Elle participe à l’activation du présent comme mode d’existence de ce qui nous concerne, nous intéresse et nous travaille.

XXII. Mais la pratique SF de Donna Haraway peut aussi prendre soin de l’avenir — ce qu’elle fait notamment en suscitant de nouveaux modes d’attention. L’une de ses stratégies narratives consiste à épingler une série d’œuvres, de luttes et d’expérimentations d’hier ou d’aujourd’hui en les racontant rétrospectivement, au futur antérieur, comme autant de germes qui auront autorisé (à un moment ou l’autre entre 2025 et 2425) des trajets d’instauration risqués, jalonnés de vies et de morts mais aussi de résurgences inattendues. C’est de cette façon que font par exemple retour Nausicaä de la vallée du vent [1984] de Hayao Miyazaki (p. 320-322), les performances de la chanteuse de gorge inuit canadienne Tanya Tagaq (p. 341-342) ou encore les luttes des femmes Mazahua pour la défense de l’eau (p. 327-334). Cette pratique de la citation au futur antérieur suggère que des veines d’avenir courent dans le terrain du temps. Elle est une façon d’élire et de désigner à notre attention certains êtres, œuvres ou événements comme autant d’avenirs — au sens modal de ce qui s’offre comme « à faire », c’est-à-dire à soigner et à cultiver.

XXIII. Vivre avec le trouble nous propose d’habiter un présent épais. L’avenir n’y désigne plus un simple manque d’être, il cesse d’être cette page vierge sur laquelle homo sapiens pourrait accomplir le projet prométhéen d’écrire à lui seul l’Histoire de son triomphe ou de sa chute. L’avenir ne vise pas non plus un être déjà défini mais encore en sursis — qu’il prenne la figure du règne des fins ou celle de l’apocalypse. L’avenir est bien plutôt le mode d’existence de ces possibles fragiles et incertains qui déploient silencieusement leurs hyphes à travers l’humus du présent et les rocs du passé. Pour les débusquer et les activer, nous avons besoin de nouvelles formes d’attention et de nouvelles pratiques de soin. C’est à cultiver ce soin et cette attention que s’emploie la pensée de Donna Haraway. Si nous nous y engageons, l’avenir (« à faire ») deviendra peut-être le mode d’existence de ce qui, à la façon du champignon matsutake d’Anna Tsing (2017), pourra nous aider à digérer le passé pétrifié (« tout fait ») et à le transformer en aliment pour nourrir l’épaisseur mouvante du présent (« se faisant »). Comme le matsutake, cet avenir-là ne peut faire l’objet d’une culture volontariste, mais seulement d’une collaboration attentive. Celle-ci permettra peut-être de faire proliférer les enchevêtrements du présent, afin qu’il demeure une terre fertile.

1 La métaphore des hyphes, que Haraway mobilise ici pour penser l’épaisseur du présent, nous semble directement empruntée au Champignon de la fin du

2 Pour une première approche de l’œuvre d’Octavia Butler, on pourra lire Liens de sang (Butler 2000). Plusieurs des textes d’Ursula Le Guin qui

3 Pour une introduction récente au travail de Vinciane Despret, on lira avec profit Habiter en oiseau (Despret 2019).

4 Pour une étude plus approfondie de la proposition du Chthulucène, de ses procédés de fabrication et de sa pragmatique, nous renvoyons au volume

Bergson Henri, 2013, La pensée et le mouvant. Paris, P.U.F.

Butler Octavia E., 2000, Liens de sang. Paris, Dapper.

Caeymaex Florence, Despret Vinciane, Pieron Julien (textes réunis et présentés par), 2019, Habiter le trouble avec Donna Haraway. Paris, Dehors.

Deleuze Gilles, 1985, Cinéma 2. L’image-temps. Paris, Minuit.

Despret Vinciane, 2019, Habiter en oiseau. Arles, Actes sud.

Haraway Donna J., 2008, When Species meet. Minneapolis/Londres, University of Minnesota Press.

Haraway Donna J., 2016, Staying with the Trouble. Making Kin in the Chthulucene. Durham/Londres, Duke University Press.

Haraway Donna J., 2018, Manifeste des espèces compagnes. Paris, Flammarion.

Latour Bruno, 1991, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique. Paris, La Découverte.

Latour Bruno, 2015, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique. Paris, La Découverte.

Le Guin Ursula K., 2020, Danser au bord du monde. Mots, femmes, territoires. Paris, L’éclat.

Péguy Charles, 1992, Œuvres en prose complètes, III. Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.

Souriau Étienne, 2009, Les différents modes d’existence, suivi de Du mode d’existence de l’œuvre à faire. Paris, P.U.F.

Tsing Anna, 2017, Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme. Paris, La Découverte.

1 La métaphore des hyphes, que Haraway mobilise ici pour penser l’épaisseur du présent, nous semble directement empruntée au Champignon de la fin du monde d’Anna Tsing, qui est une des interlocutrices de Vivre avec le trouble. Nous lui empruntons à notre tour l’idée écologique et politique de « communs latents » (Tsing 2017 : 369-370), dont nous suggérons qu’elle peut également faire l’objet d’une reprise en termes temporels.

2 Pour une première approche de l’œuvre d’Octavia Butler, on pourra lire Liens de sang (Butler 2000). Plusieurs des textes d’Ursula Le Guin qui nourrissent le travail de Donna Haraway ont été traduits dans le recueil Danser au bord du monde (Le Guin 2020), qui présente aussi un aperçu bibliographique des traductions françaises de ses romans et essais.

3 Pour une introduction récente au travail de Vinciane Despret, on lira avec profit Habiter en oiseau (Despret 2019).

4 Pour une étude plus approfondie de la proposition du Chthulucène, de ses procédés de fabrication et de sa pragmatique, nous renvoyons au volume collectif Habiter le trouble avec Donna Haraway (Caeymaex, Despret, Pieron 2019).

Julien Pieron

Julien Pieron est chargé de cours au département de philosophie de l’Université de Liège, où il enseigne la métaphysique et la théorie des pratiques de connaissance. Avec François Provenzano, il y dirige le master à finalité spécialisée en Analyse et création de savoirs critiques. Il est aussi, en collaboration avec Florence Caeymaex et Vinciane Despret, l’éditeur scientifique d’un volume consacré à la pensée récente de Donna Haraway (Habiter le trouble avec Donna Haraway, Dehors, 2019).